25 octobre 2010

Sur l’échafaud


Dans sa collection Le temps retrouvé, les éditions Mercure de France viennent de publier un ouvrage qui ravira les fidèles lecteurs de notre blog (1). En effet, Pascal Bastien, professeur d’histoire moderne à l’Université du Québec, à Montréal, connu pour ses passionnants écrits sur la justice criminelle sous l’ancien régime (2), nous livre aujoud’hui, en les annotant, les précieuses archives de Thomas-Simon Gueullette (1683-1766). Juriste, homme de lettres, magistrat à la cour criminelle du Châtelet, auteur de contes et de pièces de théâtre, Gueullette fut un infatigable polygraphe qui jouissait d’une certaine notoriété sous le règne de Louis XV. Passionné par les histoires criminelles de son temps, il collectionna pendant toute sa vie tout ce qui pouvait se rapporter à ce sujet, tels qu’arrêts et jugements criminels, factums, placards, gravures, qu’il commentait et complétait de notes personnelles. Si l’Histoire des larrons et des assassins qu’il envisageait d’écrire n’a jamais vu le jour, ses précieux papiers, eux, ont été conservés. Ils sont aujourd’hui aux Archives Nationales, sous les cotes AD III, 1 à 11. Nous connaissons bien ce fonds, que nous avons nous aussi exploité, à la recherche d’informations sur les bourreaux et les exécutions. Relevés qui nous ont d’ailleurs permis de rédiger plusieurs articles de ce site.

Cette publication ne pouvait, évidemment, éditer l’intégralité de l’immense documentation rassemblée par Thomas-Simon Gueullette (3). Outre le fait qu’elle se limite à la période pendant laquelle le magistrat a exercé ses fonctions (1721 à 1766), elle a choisi d’écarter toutes les pièces imprimées pour ne retenir que les seuls commentaires, plus intéressants, de ce dernier. C’est précisément ces notes autographes, classées par ordre chronologique, qui font toute la richesse de cette étude.
Ces Histoires de larrons et d'assassins nous font donc pénétrer dans l'univers fascinant du crime et de la violence du Paris de Louis XV. Et, à travers elles, c’est le destin de plus d’une centaine de condamnés que nous suivons. La plupart ont fini sur l’échafaud, brûlés, roués, mutilés, décapités, pendus, au gré des jugements, souvent sévères, des juges du Châtelet.
Ce recensement débute avec Cartouche, le fameux bandit, roué le vendredi 28 novembre 1721. On apprend qu’après lui avoir brisé tous les membres, l’exécuteur, « qui était fatigué, l’étouffa sur la roue avec une corde dont il lui sera l’estomac plus fortement que de coutume ». Suit ensuite toute une série de délinquants, assassins, malfaiteurs, que l’on accompagne depuis l’accomplissement de leurs délits ou de leurs crimes, en passant par la prison, la question (la torture, souvent utilisée), le tribunal, jusqu'au supplice infligé en place de Grève ou un autre endroit de Paris. Défilé hétéroclite où les brigands de grands chemins cotoient de simples domestiques, laquais, servantes et valets de chambre, mais aussi des militaires, des artisans (horloger, tailleur, compagnon orfèvre, tonnelier, cardeur de matelas, garçon marchand de vin, jardinier) et même, plus insolite, un chanoine, un chirurgien et un dentiste. Les femmes, même si elles soint moins représentées que les hommes, figurent néanmoins en bonne place dans ce tableau. Certaines célèbres à l’époque, comme Marie-Catherine Taperet dite la Lescombat, qui s’était rendue complice de l’assassinat de son mari, affaire qui eut un grand retentissement à Paris. Elle fut pendue le 3 juillet 1755. Gueullette précise : « Ce fut le fils de l’exécuteur qui fit cette exécution assez mal, et qui s’y reprit à cinq ou six fois ». Rançon de sa notorité, après sa mort un médecin naturalisa son corps que les parisiens purent venir admirer, dans son cabinet, rue Quincampoix.
On est surpris par l’extrême jeunesse de certains accusés envoyés à l’échafaud. André Thibault dit Blondin « petit et très délicat » roué le 31 janvier 1743, à peine âgé de quatorze ans et demi. René Flechard, roué le 28 mars suivant, qui ne comptait que seize ans et trois mois. Jean-Etienne Perrier, pendu le 17 mai 1765, à dix-sept ans, tout comme Louis Cartouche ou Charles Leroi de Valine, âgés de dix-sept ans et demi. Les rigueurs de la justice n’épargnent pas même les jeunes filles comme l’atteste le cas de Geneviève Guérin, seize ans, et Antoinette Blaquet, dix-sept ans, toutes deux pendues le 13 septembre 1763. Elles étaient accusées d’avoir égorgé et dévalisé un cavalier dans un sentier du côté de Clignancourt.
Au cours de cette longue période, deux nobles seulement seront condamnés à mort et, en cette qualité, décapités. Jean-Baptiste Beaulieu de Montigny fut exécuté le 15 juillet 1737, sur la petite place du Trahoir, à Paris, pour avoir assassiné un homme dont il importunait l’épouse. Prudhomme, l’exécuteur (4) « lui sépara la tête assez adroitement d’un seul coup […] la montra au peuple de tous les côtés, la remit à terre, et salua ensuite le public qui l’applaudit beaucoup à son adresse par des battements de main. ». Louis Moiria, gentilhomme natif de Saint-Claude en Franche-Comté, assassin de la femme Destournes, subit sa peine sur la place de Grève, un soir de décembre 1738. Le condamné embrassa le jeune exécuteur (5), dont c’était « son coup d’essai », puis se mit à genoux. Le bourreau « lui abattit la tête fort adroitement à la lueur d’un flambeau, d’un seul coup pendant que le peuple chantait le Salve. La tête tomba à terre, elle fut rejetée sur l’échafaud, l’exécuteur la montra au public qui l’applaudit par de grands battements de mains. »
Terrible époque où la peine de mort ne sanctionnait pas seulement les assassins, mais aussi les voleurs, parfois pour de menus larcins. C’est ainsi que Jacques et Jacques-Etienne Artois, auteurs d’un simple vol de poules, furent pendus sur la place du marché de Corbeil, le 16 octobre 1764. Et si les bûchers ne s’allumaient plus pour les sorciers ou les hérétiques, les juges continuaient à y vouer les sodomites. Deschauffours, qui « tenait école et bordel de sodomie », brûlé le 24 mai 1726, remuait encore au milieu des flammes car le bourreau l’avait « mal étranglé ». De même que Bruno Lenoir, garçon charcutier, et Jean Guyot, garçon cordonnier, surpris de nuit dans les rues de Paris, qui expièrent leur « crime » sur un bûcher, en Grève, le 6 juillet 1750.
Enfin, Thomas-Simon Gueullette nous livre son témoignage sur la plus spectaculaire exécution qui eut lieu à Paris, au cours du XVIIIème siècle : L’écartèlement de Robert-François Damiens, auteur d’un attentat contre le roi. Le magistrat, muni d’une « bonne lunette d’approche » et installé à une fenêtre du premier étage de la maison du Saint-Esprit, sur la place de Grève, rapporte avec force détails le déroulement du supplice du malheureux régicide, le 28 mars 1757. Cet insoutenable rituel dura près de quatre heures. Seize bourreaux – un chiffre incroyable – y participèrent. « L’exécuteur de Paris avait fait venir de différentes villes du royaume nombre de ses confrères pour l’aider dans une exécution dont on n’avait heureusement point eu d’exemple depuis celle du parricide de Ravaillac.»

Source de première importance pour tous ceux qui s’intéressent à la justice sous l’ancien régime, cette édition va même au-delà puisqu’elle permet de mieux connaître les mœurs et les mentalités du XVIIIème siècle. Point besoin de commentaires superflus ou d’annotations surabondantes pour déchiffrer ces vérités à l’état brut.

J.-J. J.

(1) Thomas-Simon Gueullette, Sur l'échafaud. Histoires de larrons et d'assassins, Edition présentée et annotée par Pascal Bastien, Paris, Mercure de France, 2010, 336 p.
(2) Pascal Bastien a publié L'exécution publique à Paris au XVIIIe siècle, en 2006, et participe avec Daniel Roche, à l’édition critique du Journal d’événements du libraire parisien Siméon-Prosper Hardy (1753-1789). Il devrait faire paraître, en janvier prochain, Une histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices, 1500-1800, Paris, Seuil (L'Univers historique).
(3) Après la mort de Gueullette sa collection fut transmise au procureur Meunier et à l’imprimeur Prault, ses amis, qui continuèrent de l’enrichir jusqu’en 1789, soit un total de près de 3635 pièces.
(4) François Prudhomme, titulaire par intérim des fonctions d’exécuteur de Paris, en attendant que Charles-Jean-Baptiste Sanson soit en âge de les exercer.
(5) Charles-Jean-Baptiste Sanson qui, s’il l’on admet qu’il était né vers 1719, devait alors avoir dix-neuf ans.

9 septembre 2010

Les années de jeunesse d’Henri Desfourneaux

Henri Desfourneaux, qui officia en qualité d’exécuteur en chef de 1939 jusqu’à sa mort en 1951, eut une jeunesse particulièrement active. Jusqu’à présent, faute de documents authentiques, les différents auteurs qui se sont penchés sur sa biographie s’étaient contentés d’esquisser en quelques lignes les années de formation de l’avant-avant-dernier bourreau français (1).
C’est dans un registre matricule de la classe 1897 (à la reliure passablement fatiguée), retrouvé aux archives de Paris, que nous avons eu la chance de découvrir de nombreuses informations inédites sur ce personnage (2).

Jules-Henri Desfourneaux, né à Bar-le-Duc le 17 décembre 1877, est le descendant d’une très ancienne dynastie d’exécuteurs, mentionnée en Berry dès le XVIIème siècle. Nicolas-Ernest, son père, né lui aussi dans la Meuse, n’avait pas suivi la carrière patibulaire familiale. Il était ouvrier en tricots et avait épousé à Bar-le-Duc, le 29 juin 1871, Catherine Jeannot, issue d’une famille de vignerons. Peu après le décès de cette dernière, survenu le 16 mai 1892, Nicolas-Ernest Desfourneaux quitta la lorraine pour venir s’installer à Paris.
Le registre matricule précise que la famille habitait, en 1895, 83 rue Daguerre, dans le 14ème arrondissement (à proximité du cimetière du Montparnasse).
Dans ce même document on apprend que, le 30 décembre 1895, soit une dizaine de jours après avoir fêté ses dix-huit ans, Henri Desfourneaux signa un engagement volontaire de quatre ans au 4ème régiment d’infanterie de marine. Incorporé le 2 janvier 1896, sous le matricule DD 7326, il effectua d’abord ses classes avant de rejoindre, le 1er novembre 1897, le 11ème régiment d’infanterie de marine. Il s’embarqua aussitôt pour la Cochinchine où il servit pendant deux ans dans les troupes coloniales. Peu avant de quitter l’Indochine, le 16 octobre 1899 il fut affecté au 8e régiment d’infanterie de marine. De retour en France, le mois suivant, il fut libéré au terme de son engagement, le 30 décembre 1899. Simple soldat de 2ème classe, il quitta le service avec un certificat de bonne conduite.
C’est de cette époque que date le tatouage – un poignard entouré d’un serpent – qu’il s’était fait faire au bras gauche. Ce dessin, assez banal parmi les tatoués des troupes de marine, est un symbole de vengeance. Sur ce point précis, Desfourneaux a emporté son secret avec lui.
On note qu’au moment de son engagement, en 1895, Henri Desfourneaux déclarait comme profession : mécanicien.
Son état signalétique et des services militaires nous renseigne aussi sur son physique. Il mesurait 1,65m, avait les cheveux et les sourcils châtains, les yeux châtains également, le front ordinaire, le nez moyen, la bouche moyenne, le menton rond et le visage ovale.
Par ailleurs, on mentionne que du 20 août au 16 septembre 1906 il a accompli une période d’exercice au 5ème régiment d’infanterie coloniale, à Cherbourg.
Henri Desfourneaux fut mobilisé pendant la 1ère guerre mondiale et servit successivement au 2ème régiment d’infanterie de marine, à Brest, puis, à partir du 1er septembre 1914, au 13ème régiment d’artillerie, à Nantes. Il rejoignit enfin, le 1er juillet 1917, le 23ème régiment d’infanterie coloniale et fut démobilisé le 5 février 1919. Il semble avoir été éloigné des champs de bataille car il est signalé, qu’à compter du 29 avril 1915 il fut détaché à la Société Daimler, à Puteaux.
Cette fiche matricule a soigneusement consigné les différentes adresses civiles de Desfourneaux. En juillet 1905, il habitait 2 avenue de la défense à Courbevoie, en juin 1906, 39 rue de Chartres à Neuilly, en mars 1909, 65 rue Mouton-Duvernet à Paris et, enfin, en juillet 1909, 133bis avenue de Versailles à Paris.

Comment Desfourneaux est-il devenu bourreau ? Il semble que ce soit par l’intermédiaire de son cousin Léopold Desfourneaux, aide d’Anatole Deibler, qu’il fit la connaissance de ce dernier. Quoiqu’il en soit, en décembre 1908, lorsque Deibler fut chargé de constituer une équipe pour procéder à l’exécution des chauffeurs du Nord, à Béthune, il proposa comme troisième assistant Henri Desfourneaux « qui a toute compétence et qui présente également à tous points de vue les garanties nécessaires » (3). Dès le 25 décembre 1908, Desfourneaux avait aussi envoyé sa candidature, comme adjoint, directement au ministère de la justice. Il avait alors 31 ans, habitait 39 rue de Chartres, à Neuilly-sur-Seine, et exerçait la profession de mécanicien. A l’appui de sa demande il précisait « être au courant du montage et démontage des bois de justice ayant déjà effectué, sous les ordres de M. Deibler, des réparations aux deux guillotines. » (4).
Henri Desfourneaux procéda à sa première exécution – la bande des frères Pollet – le 11 janvier 1909 et, trois mois plus tard, le 17 avril, épousa Georgette Rogis, la nièce d’Anatole Deibler. On connait la suite.

J.-J. J.

(1) Notamment l’incontournable ouvrage de mon ami Jacques Delarue, Le Métier de bourreau, Paris, Fayard, 1979, pp.351-366.
(2) Archives de Paris, D4R1 942 (matricule 3179).
(3) Archives Nationales, BB/18/6585
(4) Idem

20 août 2010

Un condamné récalcitrant



Le vendredi 6 juillet 1753, à Toulouse, François Vallier, condamné à être pendu pour le viol d’une fillette, n’était pas pressé, semble-t-il, de quitter ce monde. Il fallut presque toute une après midi pour procéder à son exécution. Le maître répétiteur Pierre Barthès, qui assista à cet événement, le raconte en détails dans ses « Heures perdues » (1).

« Donc, le vendredy 6e de ce mois on pendit à la même place (2) un fort bel homme de sa figure, protestant de religion, de la ville de St Hippolite ou d’Alais dans les Cevenes (3), apellé François Vallier, convaincu d’avoir violé une fille de six ans huit mois et condamné par sentence des officiers de la justice de Villeneuve-Lez-Avignon où il fut pris dans un bois planté d’oliviers, où il commit le crime, et l’arrêt de ce parlement confirmant la sen[ten]ce a exécution ce jourd’huy.
Cet homme de l’age de 44 à 45 ans a joué la justice toute une après midy de la manière la plus comique. Libre de tous ses sens, sans confusion et sans trouble, il envoya chercher Mr le Président (4) à la maison de ville, ce juge ayant eu la complaisance de sy rendre et nayant entendu que de pauvretés, le laissa, ayant donné ordre de le conduire au supplice sans délay. Etant arrivé à St Etienne (5), selon la coutume, il ne voulut jamais faire amande honnorable, disant ne vouloir pas pardonner la justice qui sauvoit les assassins et les volleurs et condamnoit les innocens et jetta dans la foule la tabatière du confesseur. Venu à St Georges, au pied du gibet, on le fit mettre à genoux, ou sans regarder le crucifix ni écouter le père Sérane (qui suoit à grosses goutes, tant par la vehemence du chaud, qui étoit extreme ce jour là, que par la peine que ce prevenu luy donnoit, n’ayant jamais voulu confesser) il parloit à tout le monde, sans écouter les capitouls avancés pour recevoir le testament de mort. Voyant donc qu’on n’avançoit rien, on le fit monter, ce qu’il fit avec grace, et sans trouble, riant au contraire, et disant au bourreau (6) qui l’attachoit et le regardant faire « tu prends bien de précautions ». Prêt a être jetté, le père faisant tous ses efforts pour pouvoir le gagner, l’exécuteur luy dit : « Malheureux tu vas perdre ton ame, profite de ce moment ou je vais te jetter ». « Jettés moy » luy repondit-il, avec un grand sans froid. Cependant, ayant dit quil vouloit se confesser, la justice s’étant avancée on le détacha, il descendit fort librement et s’étant fait détacher les mains, on le mena dans la maison où loge un certain Larroque, perruquier, entre Cathala, l’hote, et Chétive. Là il resta une heure trois quart et se fit porter à gouter ; étant sorti, on le mena à la potence, sans avoir pu le gagner, il monta toujours de même, libre et sain de jugement et d’esprit, étant rattaché, et le père ne pouvant réussir à l’assujetir à ses exhortations. Le bourreau de son coté perdant aussy son temps malgré sa ferveur, et son zèle. Cet homme se tournant vers le peuple à gauche dit en levant les mains et apellant encore les capitouls qui ne voulurent pas venir « messrs je suis innocent comme l’enfant d’un jour ». L’exécuteur luy répétant qu’il alloit le faire sauter, « Et bien sautons » dit-il, et s’élança luy même. »
 
(1) Journal de Pierre Barthès, Bibliothèque Municipale de Toulouse, Ms 701, f°46-48.
(2) Place Saint-Georges, où était construit un échafaud permanent, qui était le lieu principal des exécutions toulousaines au XVIIIe siècle.
(3) Saint-Hippolyte-du-Fort (Gard) et Alès (Gard).
(4) Espace laissé en blanc, son nom n’est pas indiqué.
(5) Sur le parvis de l’église Saint-Etienne, lieu où on faisait habituellement amende honorable.
(6) Le bourreau de Toulouse était alors Mathieu Bouirou.

5 juillet 2010

Une exécution à Evreux (1787)


Récit d’une exécution ordinaire, à Évreux, en 1787. Le condamné fut le dernier à être pendu dans cette ville :

« C'était en 1787, un ancien soldat nommé Rouillon, n'ayant point d'argent et voulant s'en procurer, s'introduisit dans une ferme et prit dans l'écurie les deux meilleurs chevaux. Il les fit passer par une brèche du mur placée à quatre pieds au-dessus du sol, ce qui peut servir à donner une idée de la force de cet homme, qui avait près de six pieds. Rouillon fut condamné, pour ce fait, à être pendu jusqu’à ce que mort s'ensuive.

Le jour de l'exécution, Rouillon sortit de la prison, alors dans la rue Chartraine, assis dans une petite charrette attelée d'un seul cheval, et s'arrêta en passant dans l'église de l'Hôtel-Dieu, pour y boire le vin du condamné, qui lui fut offert par la charité, chargée en cela d'exécuter le testament de Georgette Legras, et assister à une cérémonie religieuse qui fut faite par le prieur de l'hôpital. Il pouvait être alors huit heures environ et il faisait nuit depuis plus de deux heures; la marche funèbre était éclairée par des hommes portant de grosses torches de résine. La potence avait été placée à l'intersection de la Grande-Rue et de celle de la Grosse-Horloge, à dix pieds environ au-delà du ruisseau qui traverse le Carrefour. Le bras de la potence était tourné du côté de la rue de l'Horloge et l'échelle en avant, du côté de la Grande-Rue.

Rouillon était assis sur de la paille dans la voiture, la face tournée du côté du cheval; les exécuteurs (1) le soutenaient. Lorsqu'il fut arrivé au lieu de l'exécution, on fit faire un demi-tour à la voiture, et on l'accula contre l'échelle. Le bourreau passa de la voiture sur l'échelle et, s'y retournant, saisit Rouillon par le derrière du collet de la veste et l'attira à lui, le fit ainsi monter en reculant, tandis que les aides le poussaient par en bas ; cela dura au moins deux minutes, et le public crut facilement que le patient ne s'aidait pas. Rouillon avait les mains attachées par devant et la corde qui servait à les lier était passée en sautoir par dessus le cou, ainsi qu'on vit le lendemain ; il portait en outre, autour du cou, la corde de suspension toute préparée. Lorsque le patient fut arrivé à une hauteur convenable, le bourreau accrocha l'extrémité de la corde à un fort piton solidement fixé au bras de la potence, puis, s'adressant à Rouillon, il lui dit : « Dis comme moi : Jésus Maria.... Jésus Maria.... ». Le pauvre diable avait à peine proféré d'une voix sourde le troisième Jésus Maria, que le bourreau, le poussant du genou, le jeta hors de l'échelle. Faisant aussitôt volte-face, le bourreau plaça son pied droit sur les mains de Rouillon, comme il aurait fait dans un étrier, et pesant de tout son poids sur cet appui, il s'agita violemment. Au bout d'une ou deux minutes au plus, il se reposa sur l'échelle, fit pirouetter le supplicié et, comme s'il avait cru un supplément nécessaire, il lui donna une dizaine de nouvelles secousses et descendit de l'échelle après l'avoir fait pirouetter encore.

Le lendemain, qui était un dimanche, le corps demeura suspendu aux regards des passants. Il était horrible à voir : la figure était gonflée et de couleur violacée; la langue, plus violette encore que la face, sortait de la bouche de toute sa longueur, et les sécrétions qui la couvraient, provoquaient un insurmontable dégoût.

Le soir, il fut porté au gibet de la Côte-de-la-Justice, composé de piliers de pierres de taille, liés entre eux par des pièces de bois, et y fut suspendu, le cou renfermé dans un des colliers à charnières qui étaient attachés avec des chaînes de fer à chacune des traverses » (2).

(1) Depuis 1780, le bourreau de cette ville était Nicolas-Louis Jouenne. Il était né à Évreux (paroisse Saint-Pierre) le 20 mars 1754.
(2) Nicolas Rogue, Souvenirs et journal d’un bourgeois d’Evreux (1740-1830), Evreux, A. Hérissey, 1850, pp 79-80.


23 juin 2010

Quand on pendait en Savoie (1815-1860) (2)


En 1845 il n’y eut pas de condamnation à mort en Savoie, deux en 1846, aucune en 1847. Était-ce en raison d’une diminution du nombre des délits sanctionnés par cette peine ? ou de la relative clémence des magistrats ? Toujours est-il qu’en 1849 leur nombre s’accrut brusquement – trois cette année là – puis sept en 1850 – un record ! – avant de retomber à une moyenne d’une ou deux par an jusqu’en 1860.

Pour en revenir à 1850, année où la justice s’était montrée particulièrement sévère, on a noté que les condamnés appartenaient plutôt aux classes moyennes de la société. Derrière chaque affaire se dessinaient de sombres histoires de familles, d’adultères, de vols… André Tranchant et sa femme, née Jeanne Michel, de Saint-Jean-de-Maurienne, qui avaient empoisonné leur mère en assaisonnant son matafan à l’arsenic. Le mari fut pendu et sa femme condamnée à deux ans de prison.
Pierre Henri dit Cornon, 58 ans, cultivateur de Ruffieux, qui avait assassiné, en septembre 1849, Charles Reynaud, paysan aisé des environs de Rumilly. Condamné à mort le 12 juin 1850 et exécuté à Chambéry le 20 août suivant. Exécution qui fut rapportée, plutôt brièvement, par la presse locale : « Hier matin, à onze heures, a eu lieu au champs-de-mars l'exécution du nommé Henry dit Cornon, condamné à mort pour homicide. Le patient a marché avec courage et résignation vers le lieu du supplice, où il a été accompagné par MM les abbés Goddard, vicaire de la Métropole, et Bryon, aumônier des prisons, qui ne l'ont abandonné que pour le livrer entre les mains des exécuteurs. » (1). Dans son livre de souvenirs, Félix Pyat, auteur, journaliste, ancien député (2), qui venait d’être arrêté par les carabiniers, a raconté comment, à son arrivée à la prison de Chambéry, les détenus l’avaient confondu avec le bourreau attendu pour procéder à l’exécution de Pierre Henri : « Je passe le vestibule, j'entre dans une cour où se tenait un geôlier armé de clés énormes et de chiens monstrueux. […] Ces chiens saluèrent mon entrée d'aboiemens féroces, qui amenèrent tous les prisonniers aux fenêtres. Or, on devait exécuter un condamné ce jour-là; c'était, comme tu vois, de plus en plus émouvant. […] Si bien qu'en me voyant là, avec des habits un peu plus aristos que de coutume, les prisonniers me prennent pour Monsieur de Chambéry, pour le bourreau. Ils répondent aux aboiemens des chiens par des hourrahs. Ils me montrent le poing et menacent de me jeter leurs écuelles sur la tête. Heureusement, le geôlier me fouilla, ce qui leur fit comprendre qui j'étais ou plutôt qui je n'étais pas.» (3).
Alexis Danves et Anne Didier, sa maîtresse, qui, dans la nuit du 19 octobre 1849, à Villarembert, avaient assassiné Jean-Antoine Deléglise, l’encombrant mari de cette dernière. Condamnés tous les deux à mort le 2 juillet 1850.
Ou encore Françoise Vinit, 32 ans, d’Argentine, qui avait empoisonné Georges Robert, son mari. Condamnée à mort le 18 décembre 1850 et pendue quatre mois plus tard, à Chambéry, le 10 avril 1851. Exécution qui ne fut relatée qu’en trois lignes par la presse : « Hier, à 11 heures, a eu lieu l'exécution de la femme Vinit, veuve Robert. Elle a été conduite au lieu du supplice dans une voiture fermée. Elle paraissait résignée à son sort. Quelques moments plus tard la justice des hommes était faite. » (4). A cette occasion, plutôt que de s’étendre sur les derniers instants de la suppliciée, Le Courrier des Alpes avait préféré tourner en ridicule les pénitents noirs qui l’accompagnaient « avec leur hideux capuchon parcourant les rues et les maisons pour faire la quête », rapportant que des enfants avaient revêtus des tenues identiques pour soutirer de l’argent aux passants ou qu’une femme enceinte avait été effrayée à leur vue (5). Le lendemain, la compagnie avait fait publier un démenti dans le même journal, tout en précisant que la quête pour Françoise Vinit avait rapporté 72 francs en pièces de 5 centimes.

A Chambéry, à cette époque, la sinistre procession du condamné à travers les rues n’existait plus. On avait choisi de le conduire directement au lieu des exécutions, en voiture fermée. Pour avoir une idée plus précise de la manière dont se déroulait le supplice, voici un témoignage sur une exécution capitale qui eut lieu à Turin le 11 février 1852. En Savoie on ne procédait pas autrement. Le pendu était un jeune homme de 24 ans condamné pour meurtre et brigandage : « Deux poteaux de bois, hauts de trois mètres environ, étaient dressés, l'un en face de l'autre, à une distance de deux mètres. Ils étaient reliés par une forte barre en bois transversale, dont les deux extrémités s'appuyaient sur les deux poteaux. Tout cela était solidement fiché en terre et attaché. Deux larges échelles comme les deux parties disjointes d'une échelle double de jardin, s'appuyaient elles-mêmes, avec une légère inclinaison, sur la barre transversale. Enfin, dans la partie laissée libre entre les échelles serrées l'une près de l'autre et l'un des deux poteaux était un gros clou tenant une corde avec lacet ou nœud coulant. C'était là tout l'appareil meurtrier; Son épouvantable simplicité confond. Près de ce patibolo était une longue boîte en bois blanc. C'était le cercueil qui allait emporter ce corps si vivant encore maintenant ! Le patient a détourné son regard en l'apercevant… Il avait le frisson… La voiture s'était trop avancée au-delà de la potence, elle revint en arrière. Le patient descendit, soutenu par le carnefice (Ie bourreau), il monta les degrés de l'échelle la plus voisine de la corde. Le bourreau gravit l'autre échelle. Le digne prêtre monta derrière lui pour aider au courage de celui qu'allaient frapper Ies hommes et qu'il venait d'absoudre au nom de Dieu. Le nœud coulant était passé au cou du condamné... Le bourreau le renversa brusquement de l'échelle, et le corps fut suspendu. Au même instant, le bourreau se jeta sur la barre transversale qui soutenait le pendu, et, appuyant sa poitrine sur cette barre et posant à la fois ses pieds sur les épaules du demi-cadavre, il dansa sur ces épaules pendant que ses aides, au bas de la potence, tiraient violemment le corps par les jambes, le tout pour précipiter la strangulation. Tout cela ne dure qu'une minute; mais ce sont soixante secondes de chair de poule. On frissonne encore quand le corps passe devant vous, enfermé dans sa bière. » (6).

Toujours en 1851, la double exécution des frères François et Jacques Collomb, de Saint-Cergues, produisit une vive impression dans tout le pays. Condamnés à la peine capitale par la Cour d’appel de Chambéry, le 28 janvier 1851, pour l’assassinat de leur oncle Alexandre Chavin, ils avaient attendu pendant deux mois l’accomplissement du jugement. Période durant laquelle ils n’avaient cessé de clamer leur innocence et d’exprimer leur révolte. François, l’aîné, d’une forte corpulence, avait, dit-on, brisé quatre paires de fers dans la prison. Finalement, l’exécution avait été fixée au samedi 5 avril, à 11 heures, à Saint-Julien-en-Genevois. Aussitôt, enchaînés, en voiture de poste et escortés par une longue colonne de carabiniers, les deux condamnés furent transférés au lieu du supplice où ils arrivèrent vers 9 heures du matin. Peu avant le moment fixé pour la fatale cérémonie, un greffier du tribunal vint leur annoncer leur condamnation à mort. Ils s’y attendaient. C’est alors que, contre toute attente, se produisit un événement qui obligea les autorités judiciaires à reporter l’exécution. Le bourreau, l’homme indispensable, était introuvable. En fait, l’exécuteur des hautes œuvres qu’on avait fait venir de très loin – du Piémont – n’avait pu arriver à l’heure. Son voyage avait été long et difficile jusqu’à Saint-Julien, d’autant qu’en traversant la Maurienne, afin d’éviter d’être reconnu et malmené, il avait été obligé de faire de multiples détours (7). Quand il arriva enfin, dans l’après midi, il était déjà trop tard pour dresser la potence, en présence d’une foule évaluée à plus de 10.000 personnes. On était à la veille d’un dimanche, on jugea plus raisonnable et plus prudent de reporter l’exécution au lundi suivant.
Lundi 7 avril, peu avant 9 heures, l’exécuteur arriva à la prison pour procéder à la toilette des condamnés. Aussitôt après, le cortège se mit en marche par le chemin longeant la promenade du Crez, accompagné par de nombreux archers, soldats de justice et carabiniers à cheval. Tout au long du parcours la foule était dense, contenue par deux compagnies d’infanterie et un détachement de cavalerie. Les frères Collomb avançaient lentement car leurs jambes étaient entravées par des liens. Arrivé à proximité du lieu d’exécution, le bourreau fit arrêter la marche puis, prenant le cadet par les épaules, lui fit tourner le dos à la potence pour l’empêcher de voir le supplice de son frère. François fut pendu le premier. Quelques minutes après son cadavre était mis dans l’un des deux cercueils qui attendaient juste à côté. Ensuite, ce fut au tour de Jacques. Le jour même, avec une autorisation épiscopale, les deux frères furent inhumés au cimetière de Saint-Julien (8).

Deux ans plus tard, le bourreau était de retour à Chambéry, encore une fois pour une double exécution. Mais les temps n’étaient plus aux cortèges solennels, aux grands déploiements de justice, aux psaumes et au glas. L’heure était plutôt à la discrétion. Les prisonniers étaient deux italiens, Joseph Pansarosa, 32 ans, et Louis Merlo, 28 ans, se disant imprimeurs sur étoffe à Turin. Ils avaient été condamnés à mort, le 29 décembre 1852, pour avoir commis un meurtre suivi d’un vol et d’un incendie, dans le Rhône, l’année précédente. Le jour n’était pas encore levé – à 6 heures du matin selon le registre d’état-civil – quand ils furent pendus, le 18 mars 1853, sur la place du Verney. Les rares journaux régionaux qui rapportèrent leur châtiment n’y consacrèrent qu’un court paragraphe, sans même citer leurs noms : « Vendredi dernier, à 6h30 du matin, au champ de Mars de Chambéry a eu lieu la double exécution de deux hommes coupables d’un meurtre à Pierre Bénite le 25 juin 1851. Amenés sur les lieux dans une voiture. Après leur exécution ils sont descendus de la potence par les membres de la confrérie de la Miséricorde. » (9). Les pénitents noirs, fidèles à leur mission, les avaient assisté dans leurs derniers instants puis avaient enseveli leurs corps au cimetière de la paroisse Notre-Dame.

Entre 1853 et 1860, la Cour d’appel de Chambéry prononça encore une dizaine de peines de mort. Pour tentative d’homicide, assassinat, incendie, fratricide. Dont une double condamnation, le 29 juillet 1859, celles des frères François-Joseph et Joconde-Grégoire Verney, de Gressand, pour parricide (10). Cette liste macabre s’acheva avec une femme, Catherine Lollioz, d’Evian, condamnée à être pendue le 20 mars 1860, pour empoisonnement (11).

Le cas de Jean-Baptiste Gogeat, 41 ans, cultivateur à Montcel, assassin d’un garde champêtre en 1859, est particulier. Condamné à mort par un jury populaire savoyard, le 4 décembre 1860, encore sous la loi sarde mais après l’annexion à la France, il aurait du être guillotiné au lieu d’être pendu. Il échappa à la mort par un arrêt qui cassa cette première condamnation et lui substitua une peine de travaux forcés à perpétuité (12).

Nous ne savons presque rien des bourreaux qui officièrent en Savoie entre 1815 et 1860. Etaient-ils professionnels ? Recrutés localement ? Quels étaient leurs moyens d’existence ? Autant de questions auxquelles les archives ne nous permettent pas de répondre avec précision. Tout au plus apprend-on qu’en 1816 le Sénat de Savoie reçut le nommé G… comme exécuteur en second « à condition qu’il porterait un coutelas à son côté et la figure d’une petite échelle sur son justaucorps. » (13). L’obligation faite à cet exécuteur de justice de porter une marque distinctive cadre parfaitement avec d’autres mesures, rétrogrades, qui furent prises au moment de la restauration sarde. En 1817, comme nous l’avons dit plus haut, le vicaire de Chambéry avait noté, à propos de la première exécution qui eut lieu dans sa ville : « le bourreau a abîmé le malheureux, il ne sait pas son métier ». Le commentaire en dit long sur le manque de compétence des premiers bourreaux en exercice.

Un curieux document, paru en 1845, laisse entendre que celui qui exerçait alors à Chambéry, à l’instar de nombreux de ses collègues français, pratiquait parallèlement l’art de guérir. Avec une certaine renommée semble-t-il : « Quoique nous ayons dans les environs force médecins, sans compter quelques curés qui se mêlent aussi du métier, nos gens ne s’en contentent pas; et dans un tems il fallait, pour les maladies graves, aller au « grand médecin », mais ce grand médecin, vous pouvez pensez peut-être qu’on allait le chercher à Annecy ou à Genève : hé bien ! non : il fallait aller plus loin, c’était Monsieur le bourreau de Chambéry qui était en grande vogue et en réputation de « grand médecin ».» (14).

D’un autre côté, il est certain que les exécuteurs de Savoie, en raison de leurs activités, ont toujours suscité la révulsion de la population. Non seulement ils étaient chargés d’appliquer la peine de mort, mais aussi toutes les punitions infamantes qui accompagnaient certaines condamnations : le passage sous la potence pour les condamnés aux galères (les travaux forcés), la flétrissure et le carcan (qui avait été supprimé en France en 1832). En 1851 par exemple, on lit dans le Courrier des Alpes que les frères Chatel, accusés de divers vols et condamnés à 16 ans de travaux forcés, ont subi, le samedi 31 mai, la peine du carcan (15). Quelques mois plus tard, le 23 décembre, c’est François Exartier, incendiaire, qui était condamné aux travaux forcés à perpétuité et au carcan (16). Ces peines dégradantes s’appliquaient même aux suicidés qui étaient parfois condamnés à être pendus en effigies, comme Jacques Bergoin, maçon à Chambéry, en 1827, ou Jean-Baptiste Joguet, cultivateur à Flumet, en 1829 (17).

Quand l’édit du 4 mars 1848 transforma le Sénat de Savoie, alors Cour souveraine, en une simple Cour d’appel soumise à la Cour de cassation de Turin, le bourreau de Chambéry cessa ses fonctions. Jusqu’en 1860, ce fut l’exécuteur de l’état sarde, qui venait de Turin, qui exerça sur l’ensemble du territoire de la Savoie.

En mars 1861, dans une lettre adressée au nouveau préfet de Savoie, le procureur général de Chambéry expliquait à quel point la potence et le bourreau avaient laissé de très mauvais souvenirs aux savoyards : « Il faut ajouter que dans ce pays où les exécutions par la pendaison impressionnaient si tristement les masses qui s’émouvaient du rôle repoussant et brutal du bourreau, [celui-ci] trouvera autour de lui et pendant longtemps une répugnance plus accentuée, plus hostile, qui se traduira pour lui en une élévation sensible dans le salaire que lui imposeront les ouvriers et les voituriers. » (18).

J.-J. J.

(1) Le Courrier des Alpes, mercredi 21 août 1850.
(2) Compromis après l’émeute du 13 juin 1849, il avait dû se réfugier en Suisse.
(3) Félix Pyat, Loisirs d'un Proscrit, Paris, Victor Magen, 1851, p. 95.
(4) Le Courrier des Alpes, vendredi 11 avril 1851.
(5) Ibidem.
(6) La Presse, mercredi 18 février 1852.
(7) Journal de Genève, jeudi 10 avril 1851.
(8) Dominique Morin, Deux exécutions capitales à Saint-Julien, sous le régime sarde, racontées par le curé de Saint Julien en 1861, Le Bénon, N°37, juillet 2002, pp.10-11.
(9) L’Echo du Mont-Blanc, lundi 21 mars 1853.
(10) Archives départementales de la Savoie, U 42/4 n°1942.
(11) Archives départementales de la Savoie, U 42/4 n°2167.
(12) Anne-Marie Bossy, Les grandes affaires criminelles de la Savoie, De Borée, 2007, p. 29.
(13) Eugène Burnier, Histoire du Sénat de Savoie et des autres compagnies judiciaires de la même province, tome 2, Paris, 1865, p.394 note 1.
(14) R. Devos et C. Joisten, Mœurs et coutumes de la Savoie du Nord au XIXe siècle, Annecy, Grenoble, 1978, p.164.
(15) Le Courrier des Alpes, lundi 2 juin 1851.
(16) Le Courrier des Alpes, vendredi 26 décembre 1851.
(17) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 653 (1827) n°3212, 6 FS 653 (1829) n°4011.
(18) Archives départementales de la Savoie, 1Y107.


15 juin 2010

Quand on pendait en Savoie (1815-1860) (1)


On célèbre, ce mois de juin, le 150e anniversaire du rattachement de la Savoie à la France. Comment ne pas évoquer la longue période – de 1815 à 1860 – durant laquelle ce territoire, restitué au royaume de Sardaigne, fut régi par des lois rétrogrades. En effet, dès le rétablissement du Sénat à Chambéry, la monarchie sarde s’était appliquée, notamment dans le domaine judiciaire, à restaurer toutes les mesures qui étaient en vigueur avant l’occupation française. C’est ainsi que le Code Napoléonien fut abrogé et remplacé par les Royales Constitutions de 1770. Ce retour en arrière eut pour conséquence assez inattendue de mettre à la disposition de la justice toute une panoplie de châtiments corporels archaïques, tels que la flagellation, le carcan, le pilori, la roue ou l’estrapade. Cependant, si les magistrats savoyards se limitèrent dans l’emploi de cet arsenal répressif, ils introduisirent un changement symbolique dans l’application de la peine capitale : ils supprimèrent la guillotine et rétablirent l’ancien supplice de la pendaison (1).

Ce n’est qu’en 1831 que Charles-Albert de Savoie, souhaitant faire disparaître « des peines rigoureuses, inutiles et ruineuses pour les familles et en modérer quelques autres » ordonnera officiellement, par lettre patente, d’abolir le supplice de la roue (2) et « l’exemplarité des tenailles » (3).

Entre 1815 et 1860, environ une cinquantaine d’individus ont été condamnés à mort par le Sénat de Savoie (4). Sans compter ceux qui le furent par le conseil de guerre.

Le premier criminel à avoir été pendu, en Savoie, était un habitant de Saint-Collombin du Villard. Nommé Martin-Pierre-François Latour, il avait été condamné, le 7 août 1815, pour avoir assassiné sa femme et son enfant. L’exécution eut lieu le 12 août suivant, à 11 heures du matin, à Saint-Jean-de-Maurienne (5). Le second à connaître le même sort s’appelait Jean Silvin. Emprisonné à Moûtiers pour une affaire d’assassinat et de vol, il fut envoyé à la potence à l’issue d’un jugement rendu le 16 juillet 1816 (6). Puis, un an plus tard, c’était au tour d’un jeune homme de 26 ans, Antoine Thomasset, originaire du petit bourg de Marcellaz. Jugé le 11 juin 1817, pour « vol fait de nuit avec une fausse clef et meurtre », il fut pendu trois jours après, à 11 heures du matin, sur la place du Verney à Chambéry (7). Les chambériens étaient venus nombreux pour assister à cette première exécution dans leur ville. Dans son journal, Mgr Rey, vicaire général de Chambéry et futur évêque d’Annecy, témoigne de cet événement : « Aujourd'hui on a pendu un homicide; c'est pour la première fois depuis 25 ans que la potence a reparu; le bourreau a abîmé le malheureux, il ne sait pas son métier; les pénitents noirs ont aussi paru pour la première fois » (8). A cette occasion, Chambéry avait renoué avec les rituels d’ancien régime, remis en usage pour la circonstance. Le lieu choisi pour dresser la potence – le Verney – vaste place rectangulaire au nord de la ville, en bordure de la Leysse, était précisément celui où, depuis la fin du XVIème siècle, on procédait aux exécutions capitales (9). En même temps, l’antique confrérie des Pénitents Noirs, fondée en mai 1594, s’était reformée pour renouer avec l’une de ces principales missions : l’assistance aux condamnés à mort.

Dès lors, ces mêmes scènes allaient se répéter, au rythme des condamnations, en divers endroits de Savoie. Le 8 juillet 1817, Sulpice Chenut, poursuivi pour assassinat et vol, fut pendu à Bonneville, à 11 heures 30 du matin, Le 18 mai 1818, Jean-Marie Blanc, autre assassin, subit la même peine sur la place appelée pré commune, à Moûtiers, à 11 heures 30 du matin. L’année suivante, le 18 février 1819, à 11 heures du matin, on exécuta encore Jean-Claude Noiray, condamné pour infanticide. Cet homme de 42 ans, natif de Saint-Baldoph, fut le second à être pendu sur la place du Verney, à Chambéry (10).

Les femmes n’échappaient pas, en principe, au supplice de la potence, même s’il semble que très peu aient été exécutées. On ne leur épargnait pas, par contre, l’humiliation de l’exposition publique. Comme cette Marie Faisan, de Chamousset, à l’encontre de laquelle le Sénat de Savoie, le 3 octobre 1817, prononça le jugement suivant : « Condamnée à trois mois de prison et, un jour de marché, elle sera conduite sur la place publique de Saint-Jean-de-Maurienne et attachée à un pilori pour y être exposée pendant une heure aux regards du peuple avec un écriteau portant ses nom, prénom, domicile et le mot voleuse » (11). Marie-Louise Avril, qui avait volé des vases sacrés en argent et des nappes d’autel dans les églises de Seynod, Quintal, Chatenod et Megève, fut condamnée par les mêmes instances, le 5 juin 1827, en ces termes : « elle sera remise entre les mains de l’exécuteur de la haute-justice pour être conduite, un jour de cour ou de marché, la hart au col, par les carrefours et autres lieux accoutumés de la ville d’Annecy, jusques aux lieux et place destinés à faire les exécutions, pour la passer sous une potence à ces fins dressée » (12).

La première femme condamnée à mort, sous la restauration sarde, s’appelait Péronne Péguet. Le 17 avril 1819, elle avait accouché clandestinement dans l’écurie de François Borillod, chez qui elle était servante, au hameau d’Archamp, puis avait jeté son enfant dans le ruisseau du Nant de la Creusaz. Son jugement de condamnation pour infanticide, le 10 janvier 1820, précisait qu’elle serait « remise entre les mains de l’exécuteur de la haute-justice pour être par lui conduite, la hart au cou, un jour de cour ou de marché, par les carrefours et autres lieux accoutumés de la ville de Saint-Julien, jusqu’à la place destinée à faire les exécutions, pour là, d’une potence qui y sera à cette fin dressée être pendue et étranglée jusqu’à ce que mort s’en suive. » (13). Heureusement pour elle, par « billet royal », son châtiment fut commué en une peine de prison à perpétuité (14).

A l’exception de Françoise Vinit, pendue en 1851 pour le meurtre de son mari, il n’a pas été possible de vérifier si Pernette Debiolles (1821), Françoise Jacherand (1824), Claudine Dupeuloup (1825), condamnées à mort pour infanticide, Jeanne Blanc (1823), Anne-Marie Didier (1850), Antoinette Tapponnier (1850) et Catherine Lollioz (1860), pour assassinat, furent effectivement livrées au bourreau.

Au cours des années 1824 et 1825, Chambéry fut le théâtre de deux affaires criminelles qui passionnèrent l’opinion et qui conduisirent leurs auteurs à la potence. La première débuta dans la soirée du 30 au 31 mars 1824, dans une maison du faubourg du Reclus où vivait la famille Dumontel. Cette nuit là, Victor-Denis Dumontel dit Delisle, jeune avocat de 28 ans au barreau de Chambéry, étrangla sa mère, Victoire Pelletier veuve Dumontel, enferma son cadavre dans une malle puis, dès le lendemain, la fit transporter dans leur maison de campagne, à quelques kilomètres de la ville. Là, il l’enterra dans la cave. L’avocat partit ensuite en voyage et, lorsqu’on l’arrêta – parce qu’il était porteur de faux papiers – la justice découvrit son crime. Son procès fut rapidement mené et il fut condamné à mort le 11 juin 1824 (15). Voulant visiblement en faire un exemple, le Sénat de Savoie assortit la peine d’un dispositif aussi archaïque qu’insoutenable qui stipulait, entre autres, que le matricide aurait le poing coupé, serait « promené saignant par les rues », pendu au Vernay et, pour finir, son cadavre serait brûlé. Le lendemain, samedi 12 juin, à 3 heures de l’après midi, Dumontel fut pendu après qu’on lui eut coupé la main droite. Son corps fut ensuite livré aux flammes et ses cendres, avec celles du bûcher, furent jetées dans la rivière toute proche. Dans le Journal de l’Ain on lit : « le coupable a consenti à recevoir les secours de la religion, qui lui ont été prodigués dans ses derniers momens, et il a paru subir son supplice avec résignation » (16). Le Journal des débats note pour sa part : « L'exécution a duré trois ou quatre heures; et ce parricide a conservé jusqu'au dernier soupir ce sang-froid atroce du criminel le plus consommé » (17).

La seconde affaire concernait un autre notable de Chambéry. Le notaire Jean-Louis Bompard, 45 ans, vivait depuis longtemps en très mauvaise intelligence avec son épouse Claudine. Le dimanche 25 septembre 1825, il eut une terrible altercation avec celle-ci. On le vit quitter son domicile pour aller acheter des spiritueux chez un pharmacien, rentrer chez lui, puis en ressortir peu après pour se rendre à un rendez-vous professionnel. Pendant son absence, le bruit ayant couru que sa femme venait d’être assassinée, la police se rendit aussitôt chez les époux Bompard. On trouva le cadavre de la malheureuse. De fortes contusions à la tête indiquaient qu’elle avait été assommée mais, le comble de l’horreur, c’est que l’assassin – pensant effacer les traces de coups – avait fait bouillir la tête dans une marmite. Sous l’action de l’eau bouillante les dents et les cheveux étaient restés au fond du récipient ! La police saisit une chemise et une veste, appartenant au notaire, tachées d’un corps gras semblable à celui que contenait la marmite. Bompard fut arrêté et emprisonné. L’enquête prouva, non seulement sa culpabilité dans ce crime, mais aussi son implication dans le décès de son propre père, jusqu’alors présenté comme accidentel (18). Condamné à mort par le Sénat de Savoie, le 18 mai 1826, Jean-Louis Bompard fut exécuté dès le lendemain, à 11 heures 30 du matin.

Le cérémonial qui présidait aux exécutions était désormais bien établi. Un ouvrage paru en 1833 en explique le déroulement : « A partir du moment où une personne condamnée à mort (ce qui ne peut avoir lieu que par arrêt du sénat) a été avertie, par le greffier criminel, du jugement prononcé contre elle par les sénateurs, elle se trouve à la disposition de l'exécuteur des hautes-œuvres. Dès cet instant, elle commence à subir la sentence des Juges : on l'enchaîne à un fort tabouret dans un lieu de la prison où le public peut aller la voir pendant les vingt-quatre heures de son agonie. Le lendemain, jour fixé pour la punition de mort (la potence), le glas des cloches apprend aux habitans par son tintement lugubre que le patient marche au supplice. A la porte de la prison, un ou deux prêtres se placent aux côtés du condamné, qui est à pied, pour assister à ses derniers momens. Des confréries de pénitens revêtus de leur costume ridicule l'accompagnent aussi en chantant les psaumes des morts, et au milieu de cette suite de personnes et des soldats de justice, derrière le criminel, on voit le bourreau tenant dans sa main l'extrémité d'une corde déjà passée autour du cou de la victime. Ce cortège sinistre fait ainsi le tour de la ville où l'exécution doit se faire avant de se rendre où le gibet est dressé. Si le criminel a des complices qui ont été condamnés aux galères ou à la prison perpétuelles, parce que l'on n'avait pas de preuve assez grande pour leur infliger la peine de mort, on les conduit au pied de la potence du patient où ils restent attachés pendant tout le tems de l'exécution » (19).

Au cours de l’hiver 1834, à l’initiative de Giuseppe Mazzini, un complot destiné à renverser Charles-Albert de Savoie provoqua une brutale réaction des autorités sardes. Début février, une colonne de quelques centaines d’hommes, venus de l’Isère et de Suisse, avait pénétré en Savoie. Attaqués par les forces royales, près des Echelles, les insurgés avaient été rapidement dispersés, laissant derrière eux plusieurs tués et deux prisonniers. Les captifs étaient un italien, Angelo Volontieri, et un français, Joseph Borrel, ouvrier peigneur de chanvre à Grenoble. Traduits devant le conseil de guerre divisionnaire, séant à Chambéry, les deux insurgés furent condamnés à mort le 15 février. Ils ne furent pas pendus mais, ayant été jugés par un tribunal militaire, furent fusillés deux jours plus tard. Un mois après, le Sénat de Savoie jugea à son tour quatorze individus impliqués dans la même affaire. Le 22 mars, ils furent tous condamnés à être pendus et étranglés pour « crime de lèse majesté au premier chef » (20). Eux aussi échappèrent au bourreau car, en fuite à l’étranger, leur jugement avait été prononcé par contumace.

Durant toute une décennie, les tribunaux de Savoie ne prononcèrent qu’une seule condamnation à mort (en 1841), au point que les savoisiens avaient fini par s’imaginer que la potence avait été définitivement abolie dans leur pays. Aussi, à l’été 1844, quand le Sénat de Savoie condamna successivement deux assassins à la peine capitale, l’opinion s’émut de ce retour, en quelque sorte, à une justice barbare.

L’exécution d’Emmanuel Traq, à Chambéry, le 23 juillet 1844, fut la première à provoquer des réactions hostiles de la part d’une partie des spectateurs. Ce paysan de 38 ans, originaire de Bessans, avait été condamné à mort, le 6 juillet précédent, pour avoir assassiné un garde champêtre dans les environs de Saint-Jean-de-Maurienne. Dès le matin, une foule considérable s’était amassée sur la place du Vernay, à l’extrémité de laquelle la potence avait été dressée. A onze heures, le condamné sortit de la prison soutenu par deux prêtres, conduit par le bourreau et escorté par une compagnie d’archers. En outre, la confrérie des pénitents noirs ouvrait la marche, fermée par un piquet de cavalerie. Toutes les précautions avaient été prises pour prévenir une éventuelle tentative de fuite du condamné qui, quelque temps auparavant, s’était déjà évadé des prisons de la Maurienne. Le lugubre cortège traversa toute la ville d’un pas lent et solennel. Arrivé au pied de la potence, Traq opposa une vigoureuse résistance au bourreau et à son aide, refusant de monter sur l’échelle. Mais hissé de force, un instant après il était suspendu à la corde fatale. L’horrible spectacle avait suscité beaucoup d’émotion. Quand l’exécuteur manipula une dernière fois le corps du supplicié, pour s’assurer de sa mort, des cris éclatèrent : « A bas le bourreau ! ». En même temps, quelques pierres furent jetées dans sa direction. Irrité, l’exécuteur tira de sa poche un pistolet qu’il braqua vers les spectateurs, menaçant de faire feu. Loin d’intimider les mutins, son geste déclencha au contraire une grêle de pierres, lancées surtout par des enfants. Sous la protection des archers, le bourreau et son valet battirent alors en retraite vers la prison, tandis les projectiles continuaient à s’abattre sur eux. Au cours de cette échauffourée, cinq jeunes manifestants furent arrêtés. Après être resté exposé pendant cinq heures, le corps d’Emmanuel Traq fut ensuite enlevé par les pénitents noirs (21).

Une semaine plus tard, le 31 juillet 1844, à 9 heures du matin, une autre exécution eut lieu à Thonon, petite ville située sur la rive sud du lac Léman. Le condamné était un jeune soldat de 24 ans, François Barathay, natif de Saint-Paul-en-Chablais. Auteur d’un crime particulièrement atroce : il avait assassiné un enfant de neuf ans puis l’avait mutilé pour lui prendre son cœur dont il avait besoin, disait-il, pour accomplir un rituel de magie noire. Dans cette calme bourgade, de mémoire d’homme jamais on avait vu l’accomplissement d’un pareil acte de justice. L’arrivée du bourreau et les préparatifs du supplice soulevèrent d’emblée, parmi la population, de l’animosité et du dégoût. Personne ne voulut fournir à l’exécuteur les objets nécessaires pour dresser la potence. Ainsi, aucun marchand ne consentit à lui vendre le bois, le fer et les cordes indispensables. Finalement, les autorités durent les réquisitionner. Obligés de céder sous la contrainte, les commerçants n’acceptèrent aucun payement. On vit ainsi une épicière, requise de fournir telle longueur de corde, s’écrier écœurée : « Prenez le paquet que vous voudrez, ne rapportez rien, ne payez rien. » Même répugnance chez les ouvriers charpentiers qui, poussés par un sentiment commun, avaient tous refusés de travailler à la construction de l’instrument de justice. Forcés, par réquisition, de prêter au moins leurs outils, ils les apportèrent collectivement afin qu’on ne puisse reconnaître la hache ou la scie qui avaient été touchées par le bourreau. Dans de telles conditions, l’exécuteur et son aide durent fabriquer eux-mêmes l’échelle et le gibet.
Le jour dit, le condamné choisit de se rendre à pied sur le lieu du supplice. « Fort heureusement pour le possesseur de la charrette requise qui eût certainement brûlé sa voiture et tué son cheval après le transport. » (22). Au moment de l’exécution, contrairement à ce qui s’était passé à Chambéry, il n’y eut aucun cri, aucun jet de pierres, simplement, après six heures d’exposition, dès que le corps fut descendu, les spectateurs brisèrent « sans colère » la potence et l’échelle et y mirent le feu (23).

J.-J. J.

(à suivre)

(1) La guillotine, introduite en Savoie en 1793, y avait été très peu utilisée.
(2) Il n’existe, pendant la période sarde, aucun exemple d’un condamné ayant eu à subir ce terrible châtiment.
(3) André Dupouy, La délinquance féminine et les prisons de femmes (1815-1860) in La femme dans la société savoyarde, actes du 34e Congrès des sociétés savantes de Savoie, Saint-Jean-de-Maurienne, Société d'histoire et d'archéologie de la Maurienne, 1993, p. 337.
(4) Dépouillement de la série des registres des procédures criminelles du Sénat de Savoie (1815-1860). Les peines prononcées par contumace ou commuées en une période de détention n’ont pas été retenues.
(5) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 652 (1815) n°47.
(6) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 652 (1816) n°120.
(7) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 652 (1817) n°377.
(8) Léon Bouchage, La famine en 1817 en Savoie, La Savoie Littéraire et Scientifique, 3e trimestre 1910, Chambéry, 1910, p.103.
(9) Corinne Townley, Chambéry et les chambériens, 1660-1792, Annecy le vieux, Historic’one, 1999, pp. 109-110.
(10) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 652 (1817) n°400, 6 FS 652 (1818) n°783, 6 FS 652 (1819) n°1035.
(11) André Dupouy, op. cit., p. 337.
(12) Idem, p. 343.
(13) Idem, p. 345.
(14) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 652 (1820) n°1290.
(15) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 653 (1824) n°2400.
(16) Journal de l’Ain, lundi 28 juin 1824.
(17) Journal des débats politiques et littéraires, jeudi 24 juin 1824.
(18) Journal des débats politiques et littéraires, mardi 4 octobre 1825.
(19) Frédéric D'Héran, Du duché de Savoie ou état de ce pays en 1833, Paris, Delaunay, 1833, pp. 249-250.
(20) Archives départementales de la Savoie, 6 FS 654 (1834) n°6033.
(21) La Presse, dimanche 28 juillet 1844; L’Audience, lundi 29 juillet 1844; Journal de Genève, vendredi 2 août 1844.
(22) Journal des débats politiques et littéraires, samedi 17 août 1844.
(23) Ibidem.


6 juin 2010

Bonaparte et la guillotine


Il y a un mois nous avons évoqué les multiples difficultés qui précédèrent, en 1831, le choix d’une nouvelle place consacrée aux exécutions parisiennes. Ce n’était pas la première fois que l’administration cherchait à éloigner la guillotine de la place de Grève pour lui affecter un autre emplacement. Ainsi, en novembre 1803, Nicolas Frochot, premier préfet de la Seine, signa un arrêté affectant la place récemment créée devant l’église Saint-Sulpice comme nouveau lieu des exécutions. On ne sait pas ce qui avait inspiré cette décision qui, apparemment, avait été prise sans consulter les autorités. L’initiative suscita aussitôt de vives réactions et, le 23 novembre, Louis-Nicolas Dubois, préfet de police de Paris, Charles de Pierre, curé de Saint-Sulpice et Pierre-Simon de Laplace, chancelier du Sénat, s’accordèrent pour réclamer au ministre de l’intérieur l’abrogation de cet arrêté. D’autant qu’on annonçait une exécution imminente. Jean-Antoine Chaptal en référa immédiatement à Napoléon Bonaparte, Premier Consul, qui trancha en faveur des pétitionnaires.

Voici la lettre que le ministre de l’intérieur adressa au préfet Frochot afin de lui signifier qu’en haut lieu on s’opposait formellement à ce changement inopportun. Et l’arrêté fut annulé.

« Lettre du ministre de l'Intérieur au citoyen Frochot, préfet du département de la Seine, frimaire an XIII.

Le chancelier du Sénat conservateur, le conseiller d'Etat Préfet de police et le curé de la paroisse Saint-Sulpice, citoyen Préfet, m'ont, dans le même jour, adressé des observations sur l'avis qui leur a été donné que la place nouvellement ouverte an avant de l'église-Saint-Sulpice venait d'être, par vous, indiquée pour le lieu d'exécutions des jugements rendus par le Tribunal criminel.

Le chancelier me fait observer que le Sénat conservateur verrait bientôt s'évanouir le fruit qu'il commence à recueillir des soins qu'il se donne pour ranimer, autant qu'il est en lui, un faubourg intéressant par son étendue, sa situation et ses édifices, si le projet dont il s'agit était adopté.

Le conseille d'Etat Préfet de police me fait de son côté remarquer que les exécutions occasionnent toujours des rassemblements qu'il est bon de surveiller et que, sous ce rapport, la mesure qui donne lieu à sa lettre n'auraient pas dû être prise sans le concours de l'autorité chargée de veiller au bon ordre, à la sûreté et à la tranquillité publique. Il ajoute que la place Saint-Sulpice et d'autant moins convenable à ces exécutions qu'elle a peu d'issues et que les rues qui y aboutissent sont généralement étroites, que, d’un autre côté, les Consuls en allant présider le Sénat pourraient rencontrer les condamnés conduits au supplice et qu'ils seraient alors obligés de s'arrêter ou de revenir sur leurs pas.

Le curé de Saint-Sulpice m’expose à son tour combien il serait inconvenant et affligeant pour les habitants de sa paroisse d'être obligés de passer devant des suppliciés et leur exécuteur, chaque fois qu’il y aura dans une famille un mariage, un baptême ou un convoi, ce qui arrive journellement. Que d'ailleurs, personne ne voudra bâtir sur une place destinée à un spectacle aussi triste, ni habiter aux environs, en sorte que le faubourg Saint-Germain, loin de se raviver, sera plus que jamais abandonné.

Indépendamment, citoyen préfet, de ces considérations, déjà assez puissantes pour faire rapporter la décision qui affecte la place Saint-Sulpice aux exécutions, je vous fais observer qu'il est toujours impolitique et souvent dangereux de changer d'anciens usages consacrés par le temps. Les habitants de la place de Grève et des environs ne peuvent se plaindre d'avoir devant leurs maisons le spectacle des exécutions, parce que cette place y est affectée depuis plusieurs siècles et que, par conséquent, soit en acquérant des propriétés soit en y prenant des logements, ces habitant ont toujours su qu'ils auraient cette sorte de servitude, tandis que ceux du faubourg Saint-Germain qui ont déjà éprouvé des pertes énormes par les circonstances de la Révolution, seraient parfaitement fondés à réclamer contre une innovation aussi contraire à leur intérêt que désagréable à leur vue. D'ailleurs le but qu'on se propose dans l'exécution des jugements criminels serait manqué, si cet affligeant spectacle était éloigné du centre d'une cité populeuse pour aller attrister un quartier paisible, qui n'a pas besoin d'un tel exemple.

Je vous préviens donc, citoyen préfet, que le Premier Consul, auquel j'en ai référé, n'approuve aucun changement dans le lieu des exécutions, ni dans la dénomination de la place où elles se font depuis un temps immémorial, et que son intention est au contraire que les choses restent ce qu'elles étaient avant la décision que vous paraissez avoir prise pour porter ces exécutions à la nouvelle place Saint-Sulpice.

Je vous fais au surplus observer que si des motifs puissants, dont j'aurais dû être informé, avant qu'il fût pris un parti, avaient nécessité quelques changements, l'emplacement de l'ancien Grand Châtelet m'eût paru plus convenable que celui dont vous aviez fait choix.

J'ai l'honneur de vous saluer » (1).

(1) Archives Nationales, F/13/507.



28 mai 2010

Quelques exécutions à Guéret au XVIIIe siècle

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Dans un petit journal de quelques dizaines de feuillets (1), Jean-Baptiste Niveau, directeur des postes et notaire royal à Guéret, de 1776 à 1808, relate un certain nombre d’évènements et de faits divers qui se déroulèrent dans sa ville à la fin du XVIIIème siècle. Parmi ceux-ci, les exécutions capitales tiennent une place importante.

“Jean-Baptiste Dancaud, natif de Limoges, fut pendû à Guéret le 7 juin 1760.

Marie Dulloup, native de Sainte-Feyre, a été pendue et brûlée, le 19 janvier 1764, pour avoir mis le feu.

Les nommés Antoine Boisset et Jean Ambroise ont été roués et ensuitte étranglés, après neuf coups, le 23 mai 1778, jour de samedy, à cinq heures après midy, pour avoir volé avec effraction et voulu assassiner, au moulin de la Roche, paroisse d'Anzeme, avec attroupement et port d'armes, le 22 juillet 1776.

Gabriel Prud'homme, dit Massacre, originaire de Saint-Aignant-de-Versillat, près la Souterraine, a été pendu, à Guéret le 5 janvier, veille des rois, 1778, jour de lundi, à 7 heures 1/2 du soir ; a resté accroché pendant 18 mois et 26 jours, et n'est tombé de la potence que le 26 juillet 1779, jour de mardy.

Thérèse Paquet, native de Saint-Martin-Château, pour avoir caché sa grossesse et étranglé son enfant avec une lizière, a été pendue et étranglée le 12 avril 1783, à 4 heures après midi, samedy, veille des Rameaux, par le Me des oeuvres de Moulins, par la maladie de celui de cette ville.

Joseph Crétignon Mathelot, âgé d'environ 26 ans et natif d'une paroisse entre Grenoble et Vienne en Dauphinet, suivant sa déclaration, a été pendu en cette ville, le 3 janvier 1789, et jugé par jugement prévotal comme ayant été marqué de la lettre V et pour avoir attaqué et volé dans les bois de cette ville, dans le courant d'octobre 1788, un enfant Auvergnat portant 7 louis et quelques monnoies, et l'ayant pris au col pour l'étrangler, maltraité au point qu'il a séjourné plus de trois semaines à l'hôtel Dieu, lequel, avant d'être étranglé, demanda au public un pater et un ave et finit en disant deffiez vous de la justice de cette ville, elle me fait mourir innoçamment.

Pierre Depin, surnommé Pomeret, originaire du village de Neuville, paroisse d'Agen, errant depuis sa plus tendre enfance, voleur et assassin, a été pendu le 5 janvier 1789, à 6 heures 1/2 du soir, n'ayant voulu aucunement se confesser, et a fatigué la justice, les confesseurs, la compagnie des pénitents blancs, la maréchaussée et la compagnie en détachement en cette ville du régiment royal Guïene, cavalerie, rangée en bataille sur la place Marche-Dieu (2) et en détachement, au moins depuis 3 heures après midy jusqu'à près de 7 heures du soir, sans vouloir sortir de la cour de la prison, au point qu'il a fallu le garotter sur une chaise et que le bourreau l'a trainé depuis la dite cour jusqu'au pied de la potence, sans qu'il ait pu lui faire monter sur l'échelle, dans le milieu de laquelle il l'a étranglé après avoir bien travaillé, gelant à pierre fendre.

Révolution républicaine. - Dargier fils (3), de la ville de Saint-Vaury, a été guillotiné le 27 octobre 1793, à 5 heures après midi, sur la place Marche-Dieu de cette ville, pour avoir émigré, c'est-à-dire porté les armes contre la République.

Hugues Dezero, originaire du lieu de Sciaux, entre Bellac et Saint-Junien, département de la Vienne, a été guillotiné sur la place Marche-Dieu de cette ville, le 19 messidor an VI, entre une et deux heures après midy, correspondant au 7 juillet 1798, pour avoir tiré un coup de feu dans le bois à un meunier et pour avoir été trouvé muni d'un fusil, d'une pioche et d'une pelle, instruments approbatifs qui ont constaté qu'il avait dessein de le tuer, n'ayant pas réussy. Le dit Dezero a été revêtu d'une chemise rouge jusqu'après que sa tête a eu sauté.

Le 19 ventose an VII, correspondant au 9 mars 1799, Marie Guiot, femme Evraud, de Bénévent, a été guillotinée le dit jour, entre 11 heures et midy, jour de samedy, foule considérable de peuple, pour avoir étouffé son enfant; laquelle, après avoir monté sur l'échafaud, couverte d'une chemise rouge qu'elle a porté depuis la maison d'arrest jusque sur led. échafaud, où étant elle aurait fait une exhortation au public, relativement au crime par elle commis et aurait toujours parlé jusqu'au moment même que sa tête a été séparée de son corps.”

Durant cette période plusieurs exécuteurs se sont succédé à Guéret. D’abord Jean-Baptiste Varennes, issu des bourreaux de Tulle, qui décéda au village du Mondoueix dans la nuit du 21 décembre 1778. Ensuite Pierre François, fils du bourreau de Damvillers, en Lorraine. Il fut révoqué pour « démence » en 1786 et remplacé par son frère aîné, Pierre-Etienne François. Ce dernier céda sa place, en 1798, à François-Joseph Ferey qui avait occupé les mêmes fonctions successivement à Pont-Audemer, Rennes et Nantes. Pierre-Etienne François mourut assassiné, dit-on, par son frère destitué en 1786.

(1) Fernand Autorde, Extraits du journal manuscrit de Jean-Baptiste Niveau, notaire royal et Directeur des postes (1758-1808), Mémoires de la Société des Sciences naturelles et archéologiques de la Creuse, tome VII, 1891-1892, pp. 406-413.
(2) Aujourd’hui place Bonnyaud.
(3) Valéry d’Argier.

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21 mai 2010

Le pilori de Belvès



Perchée sur un éperon rocheux dominant la vallée de la Nauze, la petite cité médiévale de Belvès, en Dordogne, possède une magnifique halle du XVème siècle où, sur l’un de ses 23 piliers, sont toujours suspendus la chaîne et le carcan de l’ancien pilori. Voici le texte qui accompagne ces vestiges de la justice d’autrefois :
Cette chaîne de fer forgé est le vestige du pilori communal. Elle se termine par un rivet auquel était fixé le carcan qui enserrait le cou du supplicié. Placé au principal pilier de la halle lors de sa construction en 1430 ; avec le gibet dressé sur cette place, sont les instruments de justice féodale. L’exposition au pilori qui durait en moyenne 2 à 3 jours était le châtiment réservé aux larrons, tire laine, auteurs de menus larcins. Pendant cette exposition le supplicié portait un écriteau qui mentionnait son nom et le délit commis.

15 mai 2010

Jean Grosholtz, bourreau de Tulle


Dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse, l’auteur corrézien Emile Fage (1) évoque, sans citer son nom, le bourreau de Tulle, personnage pittoresque qui semble l’avoir beaucoup impressionné puisqu’il lui consacre un chapitre particulier :

« Le nôtre [bourreau], par une faveur insigne du sort, était particulièrement humain, réservé, de mœurs paisibles, bonhomme et même bonasse. Il portait, sans nulle fierté, la haute charge dont il était investi, et, bien loin de s’en prévaloir, dissimulait modestement à tous les yeux sa tranchante supériorité. Il frayait, comme un simple bourgeois, avec les gens de la ville, comptait nombre d’amis, avait ses réceptions de famille, ne dédaignait pas le mot pour rire, et se plaisait avec les enfants de son voisinage, qui, accoutumé à le voir, ne s’effarouchaient pas de sa présence […]
Bref, on l’estimait sincèrement, dans le quartier qu’il habitait, pour ses vertus privées, ses sentiments charitables, et les services de toutes sortes qu’il rendait aux pauvres gens ; si bien que, lorsqu’il tomba à son tour sous le coup de l’ordonnance royale qui supprima cet emploi, il fut pleuré par quelques âmes sensibles et presque regretté en ville.
[…] Sa tenue était irréprochable. Jamais un atome de poussière ne ternissait le brillant de ses habits. Il était journellement vêtu d’une longue lévite (2) brune qui tombait sur les talons et d’un gilet clair à ramages, à la mode du temps. Il portait invariablement un chapeau haut de forme. Sa chaussure reluisait comme un miroir. De grandes breloques d’or s’échappaient du gousset de son pantalon. Toute sa personne respirait un air de contentement, de dignité douce et d’honnêteté patriarcale. Avec cela, il était bien campé sur ses hanches, plutôt gras que maigre, joli garçon, et rose comme une pomme d’api, ayant juste l’embonpoint qui sied aux divinités terrestres. La physionomie de cet estimable maître de haute justice était restée profondément gravée dans ma mémoire. […]
Il était non seulement réputé, à cause de ses qualités professionnelles, la crème des bourreaux, mais il passait encore pour généreux et aumônier. Ses distributions de soupe aux pauvres et de médicaments aux malades n’étaient un mystère pour personne. […]
Les expositions avaient lieu sur la principale place du marché, à l’extrémité nord du trottoir des bâtiments de la Comédie, devant la maison Ménager, aujourd’hui démolie. Le condamné était hissé sur une table trapue et massive, surmontée d’un robuste poteau, contre lequel il se tenait debout et garrotté. A ce poteau était rivé le carcan de fer, où le criminel engageait son cou. Un écriteau placé en vue, affichait son nom et son crime. En bas, sur un brasier ardent, chauffait l’outil destiné à faire la marque. Sur la table, aux pieds du malheureux, se trouvait une sébile, dans laquelle les passants déposaient leur obole. Bien qu’il n’opérât pas toujours en personne, le maître n’était pas sans venir, de temps à autre, surveiller ses aides. Dans certaines circonstances, lorsque le coupable était de qualité, il donnait lui-même. Je le vis, un jour, travailler. Il était dix heures. La place était encombrée de monde. C’était au fort du marché. Il allait et venait devant le poteau, avec sa houppelande brune, son chapeau à haute forme, grave et pensif, les mains derrière le dos, - comme Napoléon à la veille d’Austerlitz, - attendant que l’heure de l’opération sonnât. Le moment venu, il se dépouilla lestement de sa lévite, posa son chapeau, retira du brasier l’outil chauffé à blanc et monta vivement sur l’estrade ; puis, d’un mouvement rapide, écartant la chemise du misérable de façon à mettre à nu l’épaule droite, il lui appliqua le fer sur les chairs palpitantes. Un cri perçant se fit entendre. Un jet de fumée s’éleva. Il y eut comme un remous et un murmure dans la foule. La plupart avaient détourné ou fermé les yeux. Quelques-uns pleuraient. La sébile s’emplit de sous. L’affreuse plaie, aux lettres TF, avait été pansée en un clin d’œil avec un tampon de graisse, et le vêtement ramené sur l’épaule flétrie. Toutes les circonstances de cette scène sont parfaitement présentes à mon esprit. Je les vois se succéder avec la rapidité vertigineuse d’un rêve. En moins d’une minute tout était consommé.
[ …] Nous avons dit qu’il distribuait des médicaments aux malades. Ces remèdes étaient de sa composition. Il avait une spécialité pour les maux d’yeux. Quantité de gens, dans des cas invétérés, s’étaient adressés à lui et bien trouvés du traitement qu’il leur avait fait suivre. On ne se vantait pas publiquement d’avoir recours à son ministère ; mais, en cachette, on disait merveille de ses onguents.
Le secret de la préparation était expliqué et commenté de façons différentes. Toujours est-il que la propriété essentielle de ces drogues tenait, disait-on, à la graisse humaine, aux restes des suppliciés, qui, après avoir bouilli dans je ne sais quelle affreuse chaudière, entraient dans la mixture pour une proportion connue du seul manipulateur. Son officine était en renom, sa clientèle nombreuse.
[…] La maison du bourreau était située au sommet de l’escalier des Quatre-Vingts, ainsi nommé à cause du nombre de ses marches, en contre-bas de la Barrussie, entre la maison d’arrêt et l’ancienne église de Saint-Pierre. Elle était proprette, avenante, et tranchait agréablement, par son air comme il faut, sur les masures voisines. La façade était blanche, les contrevents verts. […] Sur le devant de la maison, s’épanouissait un parterre fleuri. Le jardinet était séparé de la rue par un mur élevé, dans lequel était percée une porte cochère, de dimension assez vaste pour donner passage au sinistre mobilier, à la grande machine d’alors, bien plus compliquée que de nos jours, avec ses multiples accessoires, le tombereau, le couperet, la caisse, la panière de son, les outils de travail. Le jardin était bien tenu, orné de plantes et d’arbustes variés. Des oiseaux chantaient dans une volière. Quelques espaliers se voyaient çà et là dans l’enclos. Je me mis à en faire le tour […]. Etant arrivé dans ma promenade d’exploration, sur les derrières du bâtiment, je me trouvai, tout à coup, face à face avec la guillotine. Elle était remisée sous un hangar. Ses montants, couleur de sang, reposaient sur un plancher, qui les préservait soigneusement du contact humide du sol (3). Je désirais la rencontre ; j’aurais voulu ne pas l’avoir faite. Mon émotion fut grande. » (4).

Qui était ce bourreau si humain qu’Emile Fage a côtoyé durant sa jeunesse, sous les règnes de Charles X et Louis Philippe ? Il se nommait Jean Grosholtz et appartenait à une longue, très longue dynastie d’exécuteurs des hautes œuvres dont les premiers membres exerçaient déjà ce métier, en Suisse, au début du XVème siècle. Une branche de cette famille avait quitté Zurich pour s’installer en Alsace puis, vers 1670, en Lorraine. Ainsi, quand Jean Grosholtz naquit à Insming (Moselle), le 30 mars 1790, ses ancêtres – qui habitaient le village de Lutzelbourg – occupaient les fonctions de bourreaux de cette région depuis déjà plus d’un siècle.
La révolution puis le consulat installèrent des exécuteurs dans tous les départements français. C’est ainsi que Valentin Grosholtz, le père de Jean, fut nommé en Corrèze en 1804. Âgé de 47 ans, c’était un homme plutôt petit, aux cheveux noirs et aux yeux gris-bruns. Il mourut à Tulle, rue de la Beylie, le 20 juin 1825. Son second fils, Louis, lui avait succédé à ce poste en 1820.

Arrivé dans le Limousin avec ses parents, à l’âge de quatorze ans, Jean Grosholtz fit naturellement son apprentissage en aidant son père, s’initiant au maniement de la guillotine et des instruments de supplice. Dès 1809, il le secondait dans ses différentes activités. Quelques années plus tard, vers 1818, il fut nommé exécuteur en chef, à Tarbes. Mais il n’exerça que quelques années dans les Hautes-Pyrénées et permuta avec son frère, Louis, à qui il céda son poste en échange de celui de la Corrèze.

Nommé bourreau à Tulle, le 31 mars 1823, Jean Grosholtz occupa paisiblement ses fonctions jusqu’à leur suppression définitive en mars 1849. Sa longue carrière en Limousin ne fut pas particulièrement active. Les exécutions capitales étant assez rares, on comprend que notre exécuteur ait pu se consacrer davantage au jardinage et aux soins médicaux.
Il y eut cependant, dans le cours de sa carrière, un pénible incident qu’Emile Fage semble avoir ignoré. Le 22 septembre 1835, Jean Grosholtz avait été convoqué à Limoges avec Pierre-Jacques Nort, exécuteur de la Creuse, pour prêter main forte à Louis Hezely, leur collègue de la Haute-Vienne. Il s’agissait de procéder à une double exécution. Arrivé sur l’échafaud, le premier condamné, Pierre Gaudeix, voulut parler au public. Grosholtz et Nort le saisirent et le poussèrent rudement sur la bascule et, sans prendre le temps de l’y attacher, lui placèrent la tête dans la lunette en le tirant par les cheveux. Mais les violentes secousses reçues par la guillotine et la position précaire du supplicié contrarièrent le bon fonctionnement de la machine. Aussi, quand Hezely laissa tomber le couteau, celui-ci fut gêné dans sa course et ne parvint pas à décapiter Gaudeix. Frappé à la tête, ce dernier avait toutefois cessé de vivre. Le bourreau remonta la lame sanglante pour la faire retomber une seconde fois. Un long murmure s’éleva parmi les nombreux spectateurs qui assistaient à l’exécution. Ceux qui étaient placés près de l’échafaud constatèrent avec horreur qu’après cette seconde tentative une partie du menton était encore suspendue au tronc ! Le Parquet de Limoges rendit compte de l’incident au garde des sceaux. Appelés à s’expliquer, les trois exécuteurs tentèrent de se justifier en prétendant que les jumelles n’avaient pas été montées parfaitement d’aplomb et que, de ce fait, la bascule ne pouvait pas pivoter facilement ; en sorte qu’ils avaient été obligés de « basculer » le patient sans le sangler. En outre, selon eux, ce dernier avait le cou très court et avait opposé une grande résistance. Ces explications parurent insuffisantes aux autorités qui jugèrent que la guillotine était en parfait état de marche. D’ailleurs, Jean Meillat – le second condamné – qu’on avait eu soin d’attacher – avait été guillotiné quelques minutes plus tard, sans difficulté.
Après avoir examiné les différentes sanctions qu’il était possible de leur appliquer, soit en les révoquant purement et simplement, soit en leur retenant un trimestre de leur traitement, le ministère de la justice opta finalement pour la clémence, considérant « que ces individus, bannis à toujours de la société, n’ont que leurs gages pour faire vivre leur famille » (5).
Le 30 octobre 1835, Louis Hezely, qui portait la principale responsabilité de cette exécution, fut suspendu de ses fonctions, avec privation de traitement, pendant un mois et demi. Quant à Jean Grosholtz et Pierre-Jacques Nort, ils s’en tirèrent avec une sévère réprimande.

Bon père de famille, le bourreau de Tulle avait épousé Françoise Daydé, fille de Jean-Louis Daydé, bourreau de Tarbes. Elle mourut le 16 octobre 1841, à peine âgée de 46 ans, ayant donné naissance à sept enfants. Le premier, prénommé Nicolas, naquit à Tarbes le 7 mars 1819. Il fut d’abord adjoint de son père avant d’être nommé exécuteur à Bourg-en-Bresse puis à Limoges. Il s’éteignit en 1861, simple employé à la voirie. Le 14 mai 1845, il avait épousé à Tulle sa cousine germaine, Marie Dulaurent, fille de Raymond, ancien aide-exécuteur de Saint-Flour, et de Catherine Grosholtz. Outre un second fils, Jean-Valentin (né en 1832), Jean Grosholtz et Françoise Daydé eurent aussi cinq filles : Marguerite (1824), Marie-Anne-Marguerite (1825), Marguerite-Marie-Anne (1827) Marie-Christine (1829) et Marguerite (1838).

Jean Grosholtz mourut à Tulle le 17 février 1854, dans sa maison de la rue du fort Saint-Pierre, âgé de soixante-quatre ans.

J.-J. J.


(1) Emile Fage (1822-1906), juriste et littérateur, collaborateur de l’Indicateur Corrézien et fondateur de La revue du Limousin.
(2) Longue redingote d’homme.
(3) Vers 1853, la guillotine de Tulle fut transportée à Limoges pour y remplacer celle de la Haute-Vienne, devenue inutilisable. On la fit réparer en utilisant des pièces provenant de celle de Guéret amenée par le roulage.
(4) Emile Fage, Souvenirs d’enfance et de jeunesse suivi de Le bourreau de Tulle, Tulle, Éditions de la rue Mémoire, 2001, pp.183-187. Réédition d’un ouvrage paru en 1901 et tiré à seulement soixante exemplaires.
(5) Archives Nationales, BB/18/1374, pièce 399.