5 novembre 2009

Emotion d'échafaud à Arras vers 1594

 
Avec ce nouveau récit d'une émotion d'échafaud qui a pour cadre, cette fois, le Nord de la France, il apparait que pour l'opinion publique d'autrefois, le lynchage d'un bourreau maladroit – surtout s'il avait inutilement fait souffrir le condamné – semblait une punition tout-à-fait légitime.
A Arras, vers 1594, la population s'était rassemblée sur la place du grand marché pour assister à l'exécution du nommé Nicolas de la Rye. Le supplicié devait être décapité à l'épée. Opération qui, nous l'avons souvent constaté, était particulièrement difficile à réaliser, même pour un bourreau expérimenté. L'exécuteur, Etienne Chyron, ne parvint pas à décoller du premier coup le condamné. Après plusieurs tentatives pour achever l'opération, qui échouèrent, il fut contraint de "débiter" son patient à la manière d'un boucher. S'en était trop pour les spectateurs. Spontanément, l'un d'eux s'empara de l'échelle de l'échafaud et en frappa violemment le bourreau à la tête. Blessé, celui-ci s'enfuit poursuivi par une partie de l'assistance armée de pierres et de bâtons. Le malheureux, qui s'était refugié dans la cave de l'auberge du cygne, y fut assailli par ses poursuivants et criblé de coups. Il succomba, ayant reçu plusieurs blessures mortelles.

Un jeune homme d'Arras, Antoine Meynart, avait participé au meurtre du bourreau en lui donnant un coup de couteau dans le dos. En fuite, il demanda – et obtint semble-t-il en 1594 – sa réhabilitation (1). Voici un extrait du document où, pour justifier son acte, il met en avant sa conviction " que telle chose (la mise à mort du bourreau) se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion…"

" [Antoine Meynart, jeune homme d'Arras, s'était ] avec plusieurs aultres d'icelle ville, transporté sur le grand marché pour voir l'exécution que s'y faisoit, avec l'espée, de Nicolas de la Rye, ce qu'exécutant, certain officier de justice, nommé maistre Etienne Chyron, auroit, par plusieurs et diverses fois, failly de lui trancher la teste, laquelle, à la parfin, il auroit esté pitoiablement constrainct luy hacher, dont le peuple y assistant se seroit tellement esmeu que ung d'entre ledict peuple se seroit le premier advancé de prendre l'eschelle apposée à l'eschafaut et d'icelle donné ung coup mortel sur la teste d'iceluy officier, lequel, s'estant mis en fuyte, auroit tellement esté poursuiviz par la plupart du peuple y assemblé, qu'il auroit esté chassé dans la cave de l'hostellerye où pend pour enseigne le cigne ; entre lesquelz ledit Antoine Meynart (encoire jeusne homme, pensant que telle chose se pouvoit licitement faire, selon que la commune populace en at l'opinion, combien qu'erronnée), s'y seroit trouvé, mesmes avec plusieurs poursuivans, dans la cave, où ledit officier seroit décédé des coups par luy receus et, par espéciale de celuy de l'eschelle qui desja estoit mortel, et d'aultres qui lui auroient esté inférez de ceulx estans entrez en ladite cave, entre lesquelz ledit Antoine auroit donné ung coup de cousteau au dos, pensant telle chose se pouvoir faire impugnément comme dict est et qu'il se seroit de tant plus persuadé, qu'il voyoit telle multitude de peuple faire le semblable et poursuyvre ledict officier, garniz de pierres, cailloux et aultres bastons ; ce qu'ainsi advenu, voyant ledict suppliant que plusieurs en seroient esté recherchez, mesmes constituez prisonniers, dont les aulcuns auroient esté puniz par le dernier supplice comme aultrement, se seroit absenté de la dicte ville d'Arras et auroit esté banni à tous jours et à toutes nuictes à paine de hart." (2)

(1) Chrétien Dehaisnes, Etude sur les registres des chartes de l'audience conservés dans l'ancienne chambre des comptes de Lille, Mémoires de la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, 4e série, Tome 1er, Paris-Lille, 1876, pp. 366-367.
(2) Archives départementales du Nord, B.1790, année 1594.


1 commentaire:

  1. C'est là que l'on voit bien combien les bourreaux étaient honnis de la population...et des autorités, pour ne pas avoir condamné l'auteur des coups mortels.

    Où l'on voit que de la prestation du bourreau dépendait sa vie, ce qui devait encore plus le stresser.

    Merci pour vos trouvailles toujours aussi passionnantes.

    Carnifex.

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