30 mai 2009

Une exécution difficile à Genève


Le 10 juillet 1689, à Genève, on pend en place publique Louis du Bar, dit le petit père, voleur récidiviste, déjà marqué à Châlons. Procès verbal de cette exécution par l’auditeur Thelusson (1) :

« [Le bourreau] lui ayant mis la corde au col, et l’ayant fait monter en haut de l’échelle, après l’y avoir attaché, l’aurait jeté en bas, mais n’y serait arrivé pour n’avoir pris ses mesures et précautions ou autrement ; la corde qui était au col se serait rompue presque aussitôt que le bourreau lui aurait sauté sur les épaules pour l’étrangler ; et le dit Debas serait tombé à terre, d’où s’étant […] relevé lui-même, il aurait demandé grâce, mais lui ayant été dit que la sentence devait être exécutée, le bourreau qui en même temps s’était jeté à bas, l’avait ressaisi et fait remonter en haut de l’échelle. Je lui aurait commandé de mieux faire son devoir ou qu’autrement il répondrait de tous ses manquements, nonobstant quoi qu’ayant derechef jeté bas ledit criminel et lui ayant monté sur les épaules, après l’avoir secoué quelques moments serait tombé à terre à la renverse, ce qui m’aurait donné sujet de censurer de plus fort ledit bourreau, lequel étant ensuite descendu l’échelle et trouvé que ledit patient n’était pas encore entièrement mort, il aurait achevé de l’étrangler et lui aurait donné plusieurs coups de pieds au ventre et quelques coup de tête de sa hache sur l’estomac de manière, qu’étant icelui patient mort, il l’aurait levé aussi haut qu’il aurait pu le faire et attaché contre l’échelle. » (2)

(1) Michel Porret, Corps flétri – Corps soigné : l’attouchement du bourreau au XVIIIe siècle, in Le corps violenté : du geste à la parole, Genève, Droz, 1998, p. 125.
(2) Archives d’Etat de Genève, Procès criminel 4814.


29 mai 2009

Les exécuteurs français en Italie


Sous le premier Empire la France s'est installée en Italie, créant de nouvelles divisions administratives et établissant – dans chacune d’elles – des tribunaux, des juges et des bourreaux. Le département de l'Ombrone, par exemple, a été érigé en mai 1808 à partir de territoires issus du grand-duché de Toscane. On lui a donné le nom du fleuve Ombrone, qui le traverse, avec pour chef-lieu la ville de Sienne.
Au début de l'année 1809, ce département n'est toujours pas pourvu d'un exécuteur. Ce que déplore la justice impériale, réduite à devoir recourir à des expédients. Ainsi, le 17 avril 1809, Chevanne, Procureur Général près de la Cour de justice criminelle du département de l'Ombrone, écrit au ministre de la Justice :
"Dès le 28 janvier dernier j'avais eu l'honneur de prévenir votre Excellence qu'il était nécessaire de pourvoir à la nomination d'un exécuteur et sur la réponse dont elle m'a honoré en date du 18 février suivant, je lui ai attesté par une seconde lettre du 13 mars, qu'à raison des préjugés nationaux il était impossible de trouver ici quelqu'un qui voulait se dévouer à cet emploi. J'ajouterai qu'ayant eu a faire subir il y a 15 jours, l'exposition à cinq condamnés, j'ai été obligé de me servir d'un premier venu qui a refusé de dire son nom à d'autres qu'au concierge, et qui a procédé à l'opération avec un habit de théâtre, et avec un masque. Aussi, en me référant à mes premières observations, je persiste à dire que c'est de France qu'il faut que soient tirés les exécuteurs." (1)

Le 25 avril 1809, le ministère de la justice désigne un exécuteur pour l’Ombrone. Il se nomme Henri Picler et est originaire de Saint-Mihiel, dans la Meuse, où il est né le 13 juin 1781. Depuis l’âge de seize ans il assiste son père, Christophe Picler, dans ses fonctions d’exécuteur à Pont-à-Mousson puis à Saint-Mihiel. Par ailleurs, en 1803, il s’est marié avec Marie-Louise Desmorest, fille de Simon-Hippolyte, bourreau d’Epernay.
Aussitôt, il vend tout ce qu’il possède et se met en route pour l’Italie, accompagné dans ce long voyage par François-Louis Desmorest, son beau-frère, qu’il a recruté pour lui servir d’adjoint. Les deux hommes arrivent à Sienne vers le 17 juin. Pour le nouvel exécuteur l’installation dans l’Ombrone est difficile. D’une part, à cause du préjugé des siennois dont il doit « essuyer toute sorte d’humiliation » et, d’autre part, en raison du climat méditerranéen qui l’oblige « à combattre l’air du pays auquel il était étrangé ».

Un an plus tard, le 26 juillet 1810, Henri Picler est chargé de procéder à une première exécution capitale, à l'aide de la guillotine. C'est un désastre. Le patient est en état d'ivresse et oppose une vive résistance. L'exécuteur et son adjoint ne parviennent pas à le placer sous la lunette et doivent lutter avec lui un bon moment. La foule, qui n'a jamais assisté à pareil spectacle, commence à se montrer hostile. Henri Picler est paniqué. Il s'empresse de laisser tomber le couperet qui n'atteint pas son but. Il le remonte, le fait chuter à nouveau. Nouvel échec. Le condamné parvient quand même à être maîtrisé. A la troisième tentative il est enfin guillotiné. Mais les spectateurs sont furieux. Dans les rues de Sienne, ils poursuivent le bourreau et son aide en les menacent d'un mauvais sort. Ces derniers ne doivent leur salut qu'à l'intervention de la force armée qui, pour les protéger, n'a d'autre solution que de les enfermer dans la prison. Le jour même, le procureur impérial de l’Ombrone adresse un compte rendu au ministre de la justice :
"Aujourd'hui a été exécuté le premier arrêt de mort rendu en ce département. Le public déjà mal disposé à voir une opération qui depuis très-longtemps était en désuétude a témoigné une vive et naturelle indignation de ce que, par défaut d'usage ou de fermeté de la part de l'exécuteur, le patient a eu à subir trois épreuves consécutives avant que sa décollation fut consommée. Cet exécuteur, Henri Picler, m'a paru être un fort honnête homme et avoir des mœurs très douces; mais son malheureux coup d'essai me porte à le regarder comme peu propre à exercer en chef sa profession." (2)

Sans entendre ses justifications, le ministère de la justice révoque Henri Picler qui, suite à cette affaire, aurait préféré être muté dans un autre département. Il doit rentrer en France. Nous en reparlerons plus loin.
Après quelques mois de recherches, on lui trouve un remplaçant, Nicolas Pierre Herman, aide de l’exécuteur du département de la Haute Marne. Sa nomination pour l’Ombrone est signée le 20 septembre 1810. Lorrain comme son prédécesseur, Nicolas-Pierre Herman est né le 12 mars 1773 à Morhange (Moselle) où son père, Nicolas, et ses ancêtres ont continuellement été maîtres des hautes et basses œuvres depuis le début du XVIIe siècle. Arrivé à Sienne le 3 décembre 1810, ce dernier a rapidement le mal du pays. Il entre en contact avec Jean-Pierre Picler, exécuteur à Privas, pour un échange de postes. Ce Picler est aussi l’oncle d’Henri, révoqué en 1810. A plusieurs reprises, depuis juillet 1811, il a fait part au ministère de la justice de son souhait de quitter l’Ardèche « Là où il est il a perdu son épouse et son frère, qui étaient toute sa consolation » ; tout en se plaignant d’être éloigné de sa famille depuis treize ans « dont la plus grande partie ce trouve placés maintenant dans l’Italie, pays qui cerait pour mois ma consolation et la prolongation de mon existance ». Finalement, le 28 septembre 1811, Jean-Pierre Picler est nommé exécuteur de l’Ombrone en remplacement de Nicolas-Pierre Herman, nommé à sa place dans l’Ardèche. A son tour, il ne parait pas avoir apprécié très longtemps les charmes de l’Italie. Dans une lettre envoyée de Sienne, le 15 juin 1813, il réclame la première place vacante "Se voyant dans un pays à mourire de langueur 1° par un air très contraire 2° la grande difficulté de la langue qui nous est impossible d'apprendre dans nos age avancés; enfin la disgrace d'etre vue comme fruit étrangé." (3)
Les événements politiques vont favoriser ses souhaits. Au printemps 1814, la chute de l’Empire entraîne l’occupation de la Toscane par les troupes alliées, la disparition du département de l’Ombrone, et le retour en France des exécuteurs français employés en Italie.

Revenons à Henri Picler, le premier bourreau français de l’Ombrone, révoqué en 1810.
Obligé de rentrer en France, il passe par Paris puis retourne à Saint-Mihiel dans sa famille. Dès lors, il n’a de cesse de retrouver un poste. Le procureur général de l’Ombrone lui a donné un certificat attestant « [qu’il] s’est comporté de manière à donner la meilleure idée de son caractère ; et que l’évènement qui a fait révoquer sa commission n’a rien qui puisse lui préjudicier sous les rapports de la moralité ». Il multiplie les courriers au ministère de la justice, cherchant à chaque fois à se justifier « [l’accident] n’a pas d’autres causes que la violence du condamné, qui était ivre, et la mauvaise facture de l’instrument » (10 janvier 1811) ; « victime d’un évènement dont en rien je ne suis coupable puisque l’événement qui a fait révoquer ma commission a déjà arrivé dans un grand nombre de départements dont l’énumération serait trop longue à faire à votre excellence » (10 mars 1811).

Comme on manque de bourreaux en Italie, le 6 août 1811 Henri Picler est nommé à Pise, dans le département de la Méditerranée. Il y arrive le 18 septembre suivant. Mais, quelques mois plus tard, il écrit au Ministère pour lui dire que « la chaleur du climat est très nuisible à sa santé et à celle de sa femme ». Il demande la place de l’exécuteur de Metz qui vient de mourir. Le 20 avril 1813, il est nommé à Laval, dans la Mayenne, puis le 8 août 1815 à Rennes. C’est dans cette ville qu’il effectuera tout le reste de sa carrière jusqu’en 1852. Il y est décédé le 18 janvier 1860.

Jourdan

(1) Archives Nationales, BB/3/213
(2) ibidem
(3) Archives Nationales, BB/3/214


28 mai 2009

Portrait du bourreau de Paris en 1782

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En 1782, dans un chapitre intitulé Le Bourreau, publié dans son célèbre Tableau de Paris (1), l’écrivain Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) livre un portrait sans complaisance de l’exécuteur des hautes œuvres, Charles-Henry Sanson :

« L’exécuteur de la haute-justice a pour gages dix-huit mille livres par an. Il n’en touchoit que seize mille il y a six ans. Il avoit le droit de porter ses mains immondes sur les denrées publiques, pour en prendre une portion. On l’a dédommagé en argent.
Il n’y a eu qu’un homme de décapité à Paris depuis quarante ans environ. Aussi le bourreau est-il inexpérimenté dans cette fonction.
La dernière classe du peuple connoît parfaitement sa figure ; c’est le grand acteur tragique, pour la populace grossière, qui court en foule à ces affreux spectacles, par le sentiment de cette inexplicable curiosité, qui entraîne jusqu’à la foule polie, quand le crime ou le criminel sont distingués.
Les femmes se sont portées en foule au supplice de Damiens ; elles ont été les dernières à détourner leurs regards de cette scène.
Le petit peuple s’entretient fréquemment de l’exécuteur, dit qu’il a table ouverte pour les pauvres chevaliers de Saint-Louis, & va chercher chez lui de la graisse de pendu ; car il vend les cadavres aux chirurgiens, ou les garde pour lui, à son choix : le criminel ne peut pas se vendre de son vivant, ainsi qu’il fait à Londres.
Rien ne distingue cet homme des autres citoyens, même lorsqu’il exerce ses épouvantables fonctions ; ce qui est très-mal vu ; Il est frisé, poudré, galonné, en bas de soie blancs, en escarpins, pour monter au fatal poteau : ce qui me paroît révoltant, puisqu’il devroit porter, en ces moments terribles, l’empreinte d’une loi de mort. Ne saura-t-on jamais parler à l’imagination, & puisqu’il s’agit d’effrayer la multitude, ne connoîtra-t-on jamais l’empire des formes éloquentes ? L’extérieur de cet homme devroit l’annoncer.
Il est sans contredit le dernier citoyen de la ville, & lui seul est frappé par son emploi d’un opprobre inhérent. Il a des valets qui exercent, pour cent écus, le métier qu’il fait pour six mille. Et il trouve des valets !
Il y auroit beaucoup de réflexions à faire sur cet agent de notre législation ciminelle, pour savoir à qui il appartient spécialement ; mais cet examen nous jeteroit dans une dissertation étrangere à la nature de cet ouvrage.
Il marie ses filles, quand il en a, à des bourreaux de province. Entre eux ils s’appellent ( à l’instar des évêques ) Monsieur de Paris, Monsieur de Chartres, Monsieur d’Orléans, &c ; & Charlot & Berger fournissent aux entretiens du peuple une matiere inépuisable. Tels savetiers savent l’histoire des pendus & des bourreaux, ainsi qu’un homme de bonne société sait l’histoire des rois de l’Europe & de leurs ministres. »

(1) Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, Nouvelle Édition, Tome II, Amsterdam, 1782, pp. 212-214
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27 mai 2009

Quand le bourreau se faisait traiter de charlot


Au XVIIIe siècle, à Paris, le public avait l’habitude d’appeler le bourreau Charlot. Tout simplement parce que l’office était tenu, de père en fils, par un membre de la famille Sanson prénommé Charles. L’usage de cette appellation – qu’on imagine péjorative – a duré jusqu’au XIXe siècle. Une altercation survenue lors d’une exécution, dont on a conservé la trace dans les archives (1), nous rappelle cet usage. Mais l’intérêt de ce document est aussi de nous renseigner sur l’ambiance qui régnait au pied des potences.

Le 7 mars 1772, Landron des Ormeaux (2), inspecteur de police au Châtelet de Paris, était chargé de la surveillance d’une exécution qui se déroulait sur la place de grève « afin qu’il n’y arriva pas d’accident eu égard à la quantité de personnes qui s’y étaient assemblée ». Les condamnés se nommaient Etienne Bonin, domestique, et Jean-Jacques Nicolas Riva dit Picard « travaillant pour la robbe courte ». Arrivés sur place vers cinq heures moins le quart, ils avaient d’abord été conduits à l’hôtel de ville (pour d’ultimes révélations ?) et pendus au début de la nuit. Le premier vers deux heures du matin et, le second, une heure après.
A l’issue de cette exécution, le garçon du sieur Loquin – le charpentier chargé de monter les échafauds – était venu déposer plainte contre deux cochers. Disant que ceux-ci « l’avaient accablé d’injures et invectives et avaient tenu des propos contre lui capables d’ameuter la populace en lui [faisant] sentir que c’étoit une bassesse de sa part que de planter des potences ». Il avait eu le temps de relever leurs numéros : le premier conduisait le carrosse n°38 portant la lettre R et le second le carrosse n°2 avec la lettre P.
A l’issue d’une enquête assez rapide, un premier cocher fut arrêté le 16 mars suivant. Il se nommait Pierre Richebourg, était né à Tonnerre en Bourgogne, âgé de 33 ans, il travaillait chez son frère, Jean, loueur de carrosses 2 rue des filles du calvaire. Interrogé sur ses propos, il nia les insultes, reconnaissant seulement avoir rencontré le garçon dans la rue, le jour de l’exécution, et l’avoir appelé charlot « ainsy qu’il l’appelait ordinairement, quand il le voyait en l’ordinaire, comme le connaissant ». Deux jours après, le second cocher était arrêté à son tour. Il se nommait Antoine Dumazet, était né à Longchamps en Lorraine, âgé de 27 ans. Il était employé comme cocher de place chez le sieur Brulé, loueur de carrosses 38 rue de Boucherat. Lui aussi contesta avoir insulté le garçon « lui [ayant] seulement parlé lorsqu’il plantait les poteaux. » Les deux cochers furent emprisonnés dans les prisons du petit Châtelet. On ignore ce qu’ils devinrent ensuite.

(1) Archives Nationales, Y 14467
(2) L’Almanach Royal précise que Landron des Ormeaux était lieutenant, depuis 1765, de la compagnie du lieutenant criminel de Robe-courte au Châtelet de Paris. Il était domicilié rue des juifs, au Marais.

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26 mai 2009

Alexandre Dumas chez le bourreau de Paris

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On connait l'intérêt d'Alexandre Dumas pour l'univers du bourreau – fascination diront certains – qu'il a mis en scène dans une partie de son œuvre (Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après, La Reine Margot, Le Comte de Monte-Cristo). On connait moins sa quête d'informations sur ce sujet qui, en diverses occasions, l'a amené à côtoyer d'authentiques exécuteurs. Dans ses Causeries (1) il raconte sa visite au bourreau de Paris, au début du règne de Louis-Philippe, à la recherche de renseignements historiques. Sur ses pas, c'est l'occasion pour nous de pénétrer chez les Sanson.

" Plusieurs historiens avaient raconté qu'au moment de monter à l'échafaud, Louis XVI s'était débattu entre les mains des aides. Cela me semblait tellement en opposition avec la couleur générale de sa mort, avec la résignation de son testament, que, ne m'en rapportant point à la lettre écrite, le surlendemain de l'exécution, par le père Sanson, à l'Assemblée nationale, je résolus, vers 1832 ou 1833, de me présenter chez l'exécuteur sous un prétexte quelconque, et de le questionner moi-même.
Le prétexte fut bientôt trouvé. Les exécuteurs ont toujours certains remèdes contre certaines maladies, sans compter le remède souverain qu'ils ont contre la vie. Aussi, en Allemagne, appelle-t-on généralement les bourreaux docteurs. – Il est vrai qu'en France, on appelle assez généralement les médecins bourreaux.
Sanson vendait de la pommade pour les rhumatismes. Cette pommade, selon la légende populaire, se fait avec de la graisse de mort.
Je me présentai chez M. Sanson (2) à huit heures du soir. Il demeurait rue des Marais, n° 71 (3).
Je demandai à parler à M. Sanson ; on me conduisit à lui.
Je savais que lui n'avait jamais exécuté ; seulement, il était présent, se tenait au pied de l'échafaud, tandis qu'un de ses quatre aides faisait la besogne.
Depuis 1820, son fils Clément-Henri (4) exécutait. La première exécution qu'il avait faite, c'était à Beauvais, chez son beau-frère, Charles-Constant Desmarets (5), mort aujourd'hui, et qui avait dans sa vie ce terrible souvenir d'avoir exécuté Georges Cadoudal et ses onze complices.
J'avoue que j'étais assez embarrassé pour entamer la négociation.

Le père Sanson, homme de soixante-trois ans, à peu près, à figure douce, mélancolique et vénérable me reçut debout et le sourire sur les lèvres.
Ce sourire voulait dire : "Vous êtes un curieux, je le vois bien ; que puis-je faire pour satisfaire votre curiosité ? "
Je pris mon prétexte.
Monsieur, lui dis-je, un de mes parents est atteint de rhumatismes, et j'ai recours à vous. On lui a recommandé votre pommade comme étant souveraine ; je viens vous en demander un pot.
Sanson ouvrit une armoire, en tira un pot et me le donna.
Combien? demandai-je.
C'est selon : votre parent est-il pauvre ou riche ?
Pourquoi cela ?
S'il est pauvre, ce n'est rien ; s'il est riche, c'est ce que vous voudrez.
Je lui donnai dix francs.
Est-ce tout ce que vous désirez? me demanda-t-il. A mon tour, je le regardai en souriant.
Non, lui dis-je, je désirerais encore autre chose ; mais, cette autre chose, je n'ose pas vous la demander.
Parlez.
Franchement, vous me permettez, n'est-ce pas ?... Puis je ne suis pas tout le monde.
Je ne vous demande pas qui vous êtes ; mais si vous voulez me dire votre nom...
Je suis l'auteur d'Henri III, de Christine et d'Antony.
Ah ! monsieur Dumas ! Quel dommage que mon fils ne soit pas là ; c'est un rude claqueur, allez ! il se ferait plutôt écharper que de manquer une de vos premières... Au reste, il est peut-être rentré ; attendez. Il ouvrit la porte et cria :
Henri ! Henri !
Une voix répondit :
Il n'est pas rentré.
Ah ! par exemple, ce sera un désespoir... Enfin !... Eh bien, vous disiez que vous désiriez quelque chose, monsieur Dumas ?
Vous savez combien les auteurs dramatiques ont besoin de renseignements précis, monsieur Sanson. Il se peut qu'il arrive un moment où j'aie à mettre Louis XVI en scène. Qu'y a-t-il de vrai dans la lutte qui s'engagea entre lui et les aides de votre père, au pied de l'échafaud ?
Oh ! je puis vous le dire, monsieur, j'y étais.
Je le sais, et c'est pour cela que je m'adresse à vous.
Eh bien, voici : le roi avait été conduit à l'échafaud dans son propre carrosse et avait les mains libres.
Au pied de l'échafaud, on pensa qu'il fallait lui lier les mains, moins parce qu'on craignait qu'il ne se défendît que parce que, dans un mouvement involontaire, il pouvait entraver son supplice ou le rendre plus douloureux. Un des aides attendait donc avec une corde, tandis qu'un autre lui disait : " Il est nécessaire de vous lier les mains. " A cette proposition inattendue, à la vue inopinée de cette corde, Louis XVI eut un mouvement de répulsion involontaire. " Jamais ! s'écria-t-il, jamais ! " Et il repoussa l'homme qui tenait la corde. Les trois autres aides, croyant à une lutte, s'élancèrent vivement. De là le moment de confusion interprété à leur manière par les historiens. Alors, mon père s'approcha, et, du ton le plus respectueux : " Avec un mouchoir, sire " dit-il. A ce mot sire, qu'il, n'avait pas entendu depuis si longtemps, Louis XVI tressaillit ; et, comme au même moment son confesseur lui adressait quelques mots du carrosse : " Eh bien, soit ; encore cela, mon Dieu ! " dit-il. Et il tendit les mains.

Est-ce que l'échafaud est toujours le même? Demandai-je à Sanson.
Non, me dit-il, il a été renouvelé; mais la guillotine, l'ancienne, celle qui a servi à Louis XVI, à Marie-Antoinette, à madame Élisabeth et à la princesse de Lamballe est dans notre musée.
Vous avez donc un musée? demandai-je.
Oui, voulez-vous le voir ?
Je crois bien !
Venez, alors.
Il prit une bougie et marcha devant moi. Autant que je puis me le rappeler, après vingt-cinq ans, nous montâmes quelques marches et entrâmes, à droite, dans une espèce de galerie. Là, en effet, était le musée terrible. Au premier rang, appuyés contre la muraille, les deux portants rouges, et, entre eux, le couperet rouillé. Au pied des portants, la bascule démontée et les deux paniers : celui qui reçoit la tête, et celui qui reçoit le corps.
Après cette sombre relique venait, comme importance, l'épée qui avait décapité, Lally-Tollendal. M. Sanson, voyant ma curiosité, prit cette épée et me la mit entre les mains. C'était une longue rapière dont la lame avait près de quatre pieds de long ; sa forme était espagnole : sans doute la lame faisait partie de ces fers précieux que l'on trempait dans le Tage ; la garde, tout en fer, comme la poignée, était composée de quatre tiges de fer recourbées de manière à couvrir la main, tandis que la sous-garde, faite en manière d'écumoire, était perforée de petites étoiles dans la concavité desquelles s'engageait l'épée de l'adversaire.
Puis il y avait tout un arsenal de haches, de doloires, de tranche-têtes de toutes façons.
Je vis un peu tout cela, comme dans un songe, à la lueur d'une bougie dont la flamme tremblante faisait trembler les objets qu'elle éclairait. […]

Maintenant, comment cette guillotine — que j'ai vue démontée en 1833, dans le musée Sanson, à Paris, — comment cette guillotine se trouve-t-elle remontée, en 1857, dans le musée Tussaud, à Londres? Je vais vous expliquer cela. Comme nous l'avait dit son père, Clément-Henri Sanson était un grand coureur de spectacles et de bals. Il était à toutes les premières représentations ; il ne manquait pas un bal. Vous croyez qu'il en avait le droit. Point. M. de Paris n'a pas de droits; il n'a que des devoirs.
Nous avons dit que le père Sanson n'avait jamais exécuté et que le fils exécutait depuis 1820.
Pendant la nuit du mardi gras de l'an 1836, une exécution fut décidée. C'était celle de Fieschi.
Lorsqu'une exécution est décidée pour le lendemain, — que le pourvoi en cassation et le pourvoi en grâce sont rejetés, — le ministre de la justice envoie au procureur général l'ordre d'exécution : le parquet alors fait prévenir l'exécuteur en lui envoyant, par un garçon de bureau, l'ordre d'exécution; et un autre ordre pour que le directeur de la prison lui remette le condamné.
Le parquet prévient également l'aumônier de la prison, la gendarmerie et la police.
Il avait donc été décidé, dans la soirée du mardi gras, que Fieschi serait exécuté le lendemain.
A minuit, le garçon de bureau sonnait à la porte de la rue des Marais, n° 71.
Le père Sanson était à la campagne. Le fils n'était pas chez lui.
L'ordre était urgent; le lendemain, à sept heures du matin, Fieschi, Pépin et Moret devaient avoir cessé de vivre. Pas d'exécuteurs ! Les domestiques, troublés, disaient qu'ils ne croyaient pas que leur maître rentrât Ie lendemain avant sept ou huit heures du matin. Le garçon de bureau courut à la police. On prévint M. Canler, chef de la brigade de sûreté, que M. Sanson ne se trouvait pas.
Il s'agissait, quelque part qu'il fût, de retrouver M. Sanson. Canler se rendit à la maison de la rue des Marais, interrogea les domestiques, mais il n'en tira rien. Il eut une illumination. Il connaissait un bal où, selon lui, M. Sanson devait être. C'était un bal masqué, — un bal; rien que de Turcs. On se rendit au bal, on garda les issues, et on entra dans la salle, où l'on fit démasquer tous les danseurs. Canler ne s'était pas trompé. M. de Paris fut prévenu à temps ; Fieschi, Pépin et Moret furent exécutés à l'heure dite ; mais il n'y en eut pas moins un mauvais rapport adressé à qui de droit sur M. de Paris.
Deux ou trois faits du même genre s'étant succédé, Clément-Henri Sanson fut forcé de donner sa démission en février 1847 (6).
Il n'avait d'autre fortune que sa place, les meubles de sa maison et les curiosités de son musée.
Les épées, celle qui avait tranché la tête de Lally-Tollendal surtout, les haches, les coutelas se vendirent facilement. Mais la guillotine n'était pas d'un placement commode on la fit offrir au musée d'artillerie. Le directeur la refusa. Enfin, Sanson la proposa à madame Tussaud, qui ne fit pas la petite bouche, sauta dessus, et la racheta le prix que le grand-père Sanson l'avait rachetée lui même après l'exécution de Marie-Antoinette : cinq mille cinq cents francs. "

(1) Alexandre Dumas, Causeries, deuxième série, Paris, M. Lévy frères, 1860, pp. 129-139.
(2) Henry Sanson (1767-1840) exécuteur de Paris de 1795 à 1840.
(3) Il habitait en réalité 31bis rue des Marais (aujourd'hui à hauteur du 52 rue de Lancry à Paris 10e), C'était une petite rue qui reliait les rues du Faubourg-du-Temple et du Faubourg-Saint-Martin. A cette adresse, les Sanson n’étaient plus que locataires, ayant dû vendre leur maison en 1825. Elle fut démolie en mars 1865 lors du percement du boulevard Magenta.
(4) Henry-Clément Sanson (1799-1889) a succédé à son père en 1840 mais, dès 1819, le remplaçait occasionnellement puis, à partir de 1837, effectuait une grande partie du travail.
(5) Charles-Henri-Constant Desmorest exécuteur de Beauvais vers 1813-1849. Il était marié à Marie-Marguerite Lebébure, sœur de Virginie-Emilie, l’épouse d’Henry-Clément Sanson.
(6) Henry-Clément Sanson est surtout connu pour ses goûts originaux et sa vie dispendieuse. Passionné par le jeu autant que par le spectacle, il avait contracté de nombreuses dettes. Ses créanciers le firent arrêter et, pour pouvoir recouvrir la liberté, non seulement il dut vendre ses biens mais laissa en gage la guillotine. Le ministère de la justice en fut informé. Il paya les dettes de Sanson, récupéra la machine, et le révoqua le 18 mars 1847. Il est décédé à Versailles en 1889.
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25 mai 2009

Bourreaux « réparateurs du corps humain »


En dehors de leurs « hautes œuvres » beaucoup d’exécuteurs cumulaient cette fonction avec d’autres activités, comme bourrelier, équarrisseur, vétérinaire et surtout, un peu partout en France, avec la pratique plus ou moins légale de la médecine. Les gens des campagnes comme des villes les consultaient régulièrement, persuadés qu’ils tiraient cet empirisme thérapeutique de leur aptitude à flétrir les criminels et à manipuler le corps humain. Il est certain qu’ils étaient connus comme d’habiles rebouteurs. Cette pratique est attestée dans les registres paroissiaux où, dans la partie Ouest de la France, ils n’hésitent pas à s’arroger le titre de réparateur ou restaurateur du corps humain.

Registre de la paroisse Saint-Michel de Poitiers :
« Le dix-sept-septembre mil-sept-cent-soixante-quatre a esté inhumé dans le petit cimetierre le corps de François Verdier (1) exécuteur de la haute justisse, et restaurateur du corps humain : agé denviron soixante ans. En présence de ses enfans, et autres qui nont signés. Sicard, desservant la cure. »

Registre de la paroisse Saint-André de Niort :
« Le 17 [décembre 1769] a eté baptizé par moy vicaire soussigné Augustin André né de ce jour sur les sept heures du matin du légitime mariage de Augustin Asselin (2) restaurateur du corp humain et de Elisabeth Benoit. Le parain a été Augustin Asselin, cousin germain de l’enfant, et la mareine Elisabeth Thérèse Asselin, sa sœur…. »

(1) François Verdier, bourreau de Poitiers vers 1726-1764 était fils de François Verdier, bourreau d’Angers. Il se maria deux fois : d’abord avec Jeanne Berger, la fille de l’exécuteur de Tours, puis avec Catherine Tiercelain, fille du bourreau d’Angoulême. Il eut quatorze enfants de ces deux unions. Dans l’acte de baptême d’une de ses filles, Radegonde, en 1737, le parrain Jean Gendron se qualifie lui aussi de « restaurateur du corps humain ». Ses fils, François et Pierre-François Verdier, lui succédèrent dans l’office de bourreau de Poitiers.
(2) Six générations d’Asselain se sont succédées, au poste d’exécuteur de Niort, entre 1731 et 1849.